LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN (Livre IX)

LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN

Traduction de E. Tréhorel et G. Bouissou
LIVRE IX

LE BAPTÊME

LA MORT DE MONIQUE

I. Le séjour à Cassiciacum et le baptême

Action de grâces.

1. 1. O Seigneur, je suis ton serviteur, je suis ton serviteur et le fils de ta servante. Tu as rompu mes liens: je t’offrirai en sacrifice une hostie de louange 1. Que mon cœur te loue, ainsi que ma langue 2, et que tous mes os disent: Seigneur, qui est semblable à toi ?  3 Qu’ils le disent! et toi, réponds-moi et dis à mon âme: ton salut c’est moi 4. Et moi, qui étais-je et quel étais-je Quelle malice n’avaient pas mes actes? sinon mes actes, du moins mes paroles? sinon mes paroles, du moins ma volonté Mais toi, Seigneur, tu es bon et miséricordieux 5, et, en sondant de ta main droite, tu voyais la profondeur de ma mort, et du fond de mon cœur tu vidais un abîme de corruption. Le tout était de ne pas vouloir ce que je voulais, et de vouloir ce que tu voulais 6. Mais où était-il au long de tant d’années, et du fond de quelle profonde retraite fut-il rappelé en un instant, mon libre arbitre, pour me faire soumettre la nuque à ton joug de douceur et les épaules à ton fardeau léger 7, ô Christ Jésus, mon soutien et mon rédempteur 8? Qu’elle devint suave soudain pour moi la privation des suaves bagatelles! Les voir partir de moi avait été ma crainte, maintenant les faire partir était une joie. Tu les jetais dehors en effet, loin de moi, toi, véritable et souveraine suavité tu les jetais dehors et tu entrais prenant leur place, plus doux que tonte volupté, mais non pour la chair et le sang 9; plus clair que toute lumière 10, mais plus intérieur que tout secret plus élevé que tout honneur, mais non pour ceux qui s’élèvent en soi. Déjà mon me était libre des soucis qui la rongeaient 11: l’ambition, et la cupidité, et le désir de se roulier dans les passions et d’en gratter la gale. Et je babillais avec toi, ma clarté, ma richesse, mon salut, avec toi, le Seigneur mon Dieu.

Augustin se démet de ses fonctions.

2. 2. Et il me parut bon, sous ton regard 12, non d’arracher avec fracas, mais de soustraire en douceur le ministère de ma langue à la foire du bavardage : je ne voulais plus voir des garçons qui songeaient, non pas à ta loi 13, non pas à ta paix, mais à des extravagances menteuses 14 et à des luttes de forum, acheter de ma bouche des armes pour leurs furieux délires. Et, par bonheur, il ne restait plus que très peu de jours jusqu’aux vacances des vendanges; je résolus de les supporter, afin de prendre mon congé comme d’habitude et, racheté par toi, de ne plus rentrer pour me vendre. Notre résolution était donc prise à tes yeux; mais aux yeux des hommes, excepté nos intimes, elle ne l’était pas. Il était convenu entre nous qu’elle ne serait divulguée à personne inconsidérément. II était vrai pourtant que toi, à nous qui remontions de la vallée des larmes 15 en chantant le cantique des degrés 16, tu avais donné des flèches acérées et des charbons dévastateurs, contre la langue captieuse 17, qui, sous le couvert du conseil, apporte la contradiction et, comme elle fait d’un aliment, dévore à force d’aimer.

2. 3. Toi, tu avais percé notre cour des flèches de ta charité 18, et nous portions tes paroles, plantées à travers nos entrailles. Les exemples de tes serviteurs, que de ténébreux tu avais rendus lumineux et de morts rendus vivants, ces exemples entassés au sein de notre pensée en brûlaient et consumaient la pesante torpeur pour nous empêcher de retomber dans les bas-fonds, et ils nous embrasaient fortement, si bien que n’importe quel souffle de contradiction, venu de la langue captieuse 19, avait le pouvoir de nous embraser plus vivement, non de nous éteindre. Cependant, à cause de ton nom que tu as sanctifié à travers la terre 20, il y aurait aussi des gens certainement pour louer notre vœu et notre dessein dès lors, un semblant d’ostentation pouvait apparaître si, sans attendre l’échéance bien proche des vacances, nous nous écartions auparavant d’une profession publique exposée à tous les regards; et tous ceux qui tenaient leur visage tourné vers mes faits et gestes, voyant que j’avais voulu devancer la date, si rapprochée pourtant, des congés des vendanges, auraient eu beaucoup à dire: j’aurais eu l’air à leurs yeux d’avoir cherché à me donner de l’importance. Et à quoi cela me serait-il, qu’il y eût des sentiments et des dissentiments au sujet de mon âme, et que l’on blâmât notre bonne action  21?

Maladie de poitrine.

2. 4. En outre, ce même été, le surmenage du travail scolaire m’avait fatigué les poumons ils s’étaient mis à faiblir et rendaient difficile la respiration; des douleurs dans la poitrine attestaient qu’ils étaient touchés et ils me refusaient une parole assez claire on soutenue. Cela m’avait d’abord bouleversé : j’étais contraint à déposer désormais presque nécessairement le fardeau de ce professorat, ou, en supposant que l’on pût me soigner et me rendre mes forces, je devais du moins prendre un sursis. Mais dès l’instant où une volonté totale d’être disponible et de voir que tu es le Seigneur 22, fut née en moi et affermie, tu le sais, mon Dieu, je me pris à éprouver même de la joie, car il y avait là aussi une excuse sans feinte, pour atténuer le mécontentement des gens qui ne voulaient jamais, à cause de leurs rejetons d’hommes libres, me laisser libre. Ainsi donc, rempli d’une telle joie, je supportais ce délai jusqu’à expiration – je ne sais s’il comptait même vingt jours – et pourtant il me fallait du courage pour le supporter, parce que la cupidité avait cédé la place, elle qui m’aidait d’ordinaire à soutenir le poids de la tâche; et je serais resté menacé d’accablement, si la patience ne lui avait succédé. Que l’un ou l’autre de tes serviteurs, mes frères, déclare que j’ai péché quand, le cour déjà pleinement engagé à ton service, j’ai enduré, ne fût-ce qu’une heure, de siéger dans la chaire du mensonge 23; pour moi je n’y contredis point. Mais toi, Seigneur plein de miséricorde, n’est-il pas vrai que ce péché aussi, avec toutes mes autres horreurs mortelles, dans l’eau sainte tu me l’as pardonné et remis?

Verecundus.

3. 5. Verecundus se consumait d’angoisse devant ce qui faisait notre bonheur, car les liens tenaces qui le tenaient étroitement, l’excluaient de notre compagnie, il le voyait bien. Sans être encore chrétien, il avait son épouse dans la foi; et c’est elle pourtant, plus étroitement que tout le reste, qui entravait sa marche et le retenait loin du chemin où nous avions porté nos pas; il prétendait ne vouloir devenir chrétien autrement que de la manière dont il ne pouvait l’être’. Il eut l’extrême obligeance de nous offrir l’hospitalité: tant que nous serions là, son domaine serait à nous. Tu le rétribueras, Seigneur, dans la rétribution des justes 24, puisque déjà tu lui as attribué leur sort 25. De fait, malgré notre absence, puisque déjà nous étions à Rome, saisi dans son corps par une maladie au cours de laquelle il se fit chrétien et fidèle, il quitta cette vie: ainsi tu as eu pitié non seulement de lui mais de nous aussi, en nous évitant de songer à la bonté de choix d’un ami à notre égard sans pouvoir le compter dans ton troupeau de choix, ce qui nous eût torturé d’une douleur intolérable. Grâces t’en soient rendues, ô notre Dieu!  26 Nous sommes tiens: c’est ce que montrent tes exhortations et tes consolations. Fidèle dans tes promesses, tu donnes à Verecundus, en échange de son jardin champêtre de Cassiciacum où loin des bouillonnements du siècle nous trouvâmes le repos en toi, tu lui donnes les délices de ton paradis toujours verdoyant – car tu lui as remis ses péchés sur la terre 27 – de ton paradis sur la montagne ruisselante de lait, ta montagne, la montagne de l’abondance 28.

Nébridius.

3. 6. Il était donc alors dans l’angoisse, lui, tandis que Nébridius partageait notre joie. Celui-ci non plus n’était pas encore chrétien, et il était tombé dans la fosse 29 d’une erreur très pernicieuse qui lui faisait croire que la chair véritable de ton Fils 30 n’était qu’apparence; cependant il s’en dégageait et son attitude intérieure était, sans qu’il fût encore initié à aucun des mystères de ton Église, de rechercher néanmoins de toute son ardeur la vérité. Peu après notre conversion et notre régénération par ton baptême, il entra lui aussi dans la foi catholique, et, pratiquant la chasteté parfaite et la continence, il te servait en Afrique auprès des siens, après avoir gagné toute sa maison au christianisme, quand tu as dénoué ses liens de chair. Et maintenant, il vit dans le sein d’Abraham 31. Quelle que soit la nature de ce que représente ce sein, c’est là que vit mon Nébridius, un doux ami pour moi, mais pour toi, Seigneur, un ancien affranchi devenu fils adoptif. C’est là qu’il vit, car où placer ailleurs une telle âme ? C’est là qu’il vit, en ce lieu sur lequel il ne cessait de m’interroger, moi, pauvre petit homme sans expérience. Il n’applique plus son oreille à ma bouche, mais la bouche de son esprit à ta source, et il boit, autant qu’il peut, la sagesse au gré de son avidité dans un bonheur sans fin. Et je ne crois pas qu’il s’enivre d’elle au point de m’oublier, puisque toi, Seigneur, toi dont il s’abreuve, tu te souviens de nous 32. Voilà donc où nous en étions: à consoler Verecundus attristé, malgré notre amitié sauve, de notre genre de conversion, à l’exhorter à la pratique fidèle des vertus de son rang, c’est-à-dire celles de la vie conjugale. Quant à Nébridius, nous attendions le moment où il nous suivrait; et il était bien près de pouvoir le faire déjà, déjà il allait le faire, quand voici que furent révolus les jours de classe, enfin Oui, il paraissaient longs et nombreux, tellement je désirais la liberté et ses loisirs pour chanter de toutes mes fibres Mon cour t’a dit: j’ai cherché ton visage; ton visage, Seigneur, je le chercherai encore 33.

Les écrits de Cassiciacum. Evolution d’Augustin et d’Alypius.

4. 7. Vint le jour où, en fait aussi, je serais libéré de ma profession de rhéteur, comme j’en étais déjà libéré en pensée. Et ce fut fait : tu arrachas ma langue d’un métier d’où déjà tu avais arraché mon cour, et je te bénissais, tout joyeux, en partant pour la maison de campagne avec tous les miens. Ce que j’y fis dans le domaine littéraire, qui sans doute déjà était à ton service mais où la superbe de l’école haletait encore comme en un temps de pause, ces livres en témoignent où je discute avec les personnes présentes, et avec moi-même, seul devant toi’. Pour les discussions avec Nébridius absent, le témoignage est dans mes lettres. Quand trouverais-je assez de temps pour mentionner chacune de tes immenses faveurs envers nous en ce temps-là, étant donné surtout ma hâte de passer à d’autres plus importantes ? Car mon souvenir me rappelle, et il me devient doux de te confesser, Seigneur, par quels aiguillons intérieurs tu achevas de me dompter, et de quelle manière tu m’aplanis en abaissant les montagnes et les collines de mes pensées, tu redressas mes voies tortueuses et tu adoucis mes aspérités 34 comment aussi tu soumis Alypius lui-même, le frère de mon cœur, à ce nom de ton Fils unique, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ 35, qu’il refusait d’abord avec dédain de voir inscrit dans nos ouvrages. Il préférait, en effet, l’odeur des cèdres du Gymnase, désormais brisés par le Seigneur 36, à celle des herbes salutaires de l’Église, qui écartent les serpents.

Lecture des Psaumes. Méditation sur le Psaume 4.

4. 8. Quels cris, mon Dieu, j’ai poussés vers toi en lisant les psaumes de David, chants de foi, accents de piété où n’entre aucune enflure d’esprit! J’étais alors un novice dans ton authentique amour, un catéchumène en vacances dans la maison de campagne avec le catéchumène Alypius; ma mère, se joignant à nous, était là avec un extérieur de femme, une foi d’homme, une assurance de vieillard, une tendresse de mère, une piété de chrétienne. Quels cris je poussais vers toi dans ces psaumes, et comme je prenais feu pour toi à leur contact ! Et je brûlais de les déclamer, si j’avais pu, à toute la terre, face aux bouffées d’orgueil du genre humain. Et d’ailleurs on les chante par toute la terre, et il n’est personne qui se soustraie à ta chaleur 37. Quelle indignation en moi, violente, âpre et douloureuse, contre les manichéens! Et puis des retours de pitié: ils ignoraient ces mystères sacrés, ces remèdes, et dans leur folie malsaine ils se tournaient contre l’antidote qui aurait pu les rendre sains. J’aurais voulu qu’ils se fussent trouvés là quelque part, tout près, à ce moment, et que, sans que j’aie su qu’ils y étaient, ils aient regardé mon visage et entendu mes cris, lorsque je lus le psaume quatrième en ces heures de loisir; entendu ce que fit de moi ce psaume: Comme je t’invoquais, tu m’as exaucé, Dieu de ma justice; dans ma tribulation, tu m’as donné du large. Aie pitié de moi, Seigneur, et exauce ma prière 38; qu’ils aient entendu, sans que j’aie su qu’ils entendaient, pour leur éviter de penser que je disais à cause d’eux ce que j’ai dit entre les paroles du psaume. Car, en réalité, ce n’est pas cela que j’aurais dit, et ce n’est pas ainsi que je l’aurais dit, si j’avais senti qu’ils m’entendaient et me voyaient; d’ailleurs, si je l’avais dit, ils n’auraient pas compris cette façon de parler avec moi-même et pour moi-même devant toi, en exprimant le sentiment intime de mon âme.

4. 9. Je me mis à frémir de crainte, et au même instant à bouillir d’espérance et de transports de joie dans ta miséricorde 39, ô Père. Et tout cela s’échappait par mes yeux et par ma voix, au moment où, tourné vers nous, ton Esprit de bonté 40 nous disait: Fils des hommes, jusques à quand aurez-vous un poids sur le cœur ? Pourquoi donc êtes-vous épris de la vanité et recherchez-vous le mensonge ?  41 Oui, je m’étais épris de la vanité et j’avais recherché le mensonge. Et toi, Seigneur, tu avais déjà magnifié ton saint 42, le réveillant d’entre les morts et l’installant à ta droite 43, d’où il enverrait d’en haut sa promesse 44le Paraclet, Esprit de vérité 45. Il l’avait envoyé déjà 46, mais moi je ne le savais pas. Il l’avait envoyé parce que déjà il avait été magnifié, en se levant d’entre les morts 47 et en montant au ciel 48. Mais auparavant, l’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié 49. Et le prophète crie: Jusques à quand aurez-vous un poids sur le cœur ? Pourquoi donc êtes-vous épris de la vanité et recherchez-vous le mensonge? Et sachez que le Seigneur a magnifié son saint 50. Il crie: Jusques à quand? Il crie: Sachez. Et moi, si longtemps dans l’ignorance, je me suis épris de la vanité et j’ai recherché le mensonge. C’est pourquoi j’ai entendu et j’ai tremblé 51, en voyant que cette parole est dite polir des hommes comme celui que j’avais été, je m’en souvenais bien; car, dans les fantômes que j’avais pris pour la vérité, il y avait la vanité et le mensonge. Et je fis retentir bien des cris, lourds et vigoureux, tant je souffrais de mes souvenirs. Ah! s’ils avaient pu les entendre, ceux qui jusqu’à cette heure encore sont épris de la vanité et recherchent le mensonge! Peut-être que, bouleversés, ils auraient vomi tout cela. Et tu les exaucerais quand ils crieraient vers toi 52, puisque c’est d’une vraie mort de la chair qu’est mort pour nous Celui qui t’interpelle pour nous 53.

4. 10. Je lisais : Mettez-vous en colère et ne péchez plus 54. Comme j’étais ému, mon Dieu, moi qui avais appris déjà à me mettre en colère contre mon passé, afin de ne plus pécher à l’avenir! Juste colère, parce que ce n’était pas une autre nature, de la race des ténèbres, qui péchait par moi, comme disent ceux qui ne prennent point de colère contre eux-mêmes et s’amassent un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation de ton juste jugement 55. Mes biens n’étaient plus au-dehors, et ce n’était plus de mes yeux de chair, dans le soleil d’ici-bas, que je les cherchais. Car ceux qui veulent placer leur joie au-dehors deviennent facilement vides et se répandent dans les choses visibles et temporelles 56, monde d’apparences qu’ils lèchent d’une imagination affamée. Oh! s’ils pouvaient se lasser de leur famine et dire: Qui nous montrera les biens?  57 Disons-leur donc et qu’ils l’entendent: Sur nous est empreinte la lumière de ton visage, Seigneur 58. Nous, bien sûr, nous ne sommes pas la lumière qui illumine tout homme 59; mais nous sommes illuminés par toi, afin que nous, qui jadis étions ténèbres, nous soyons lumière en toi 60. Oh! s’ils pouvaient voir l’éternel, intérieur! moi, j’y avais goûté 61 et c’est pour cela que je grinçais des dents de ne pouvoir le leur montrer. Oh! s’ils m’apportaient leur cœur qu’ils mettent dans leurs yeux, dehors, loin de toi, et s’ils disaient: Qui nous montrera les biens? Oui, là où je m’étais irrité contre moi, à l’intérieur sur ma couche; où j’avais senti l’aiguillon du repentir 62; où j’avais offert un sacrifice, en immolant le vieil homme 63 qui était en moi et en mettant, dans l’entreprise engagée de ma rénovation, mon espérance en toi; c’est là que tu avais commencé à devenir douceur pour moi et donné l’allégresse à mon cour 64. Je m’écriais, car ce que je lisais au-dehors, je le reconnaissais au-dedans. Et je ne voulais pas me multiplier dans les biens terrestres, dévorant le temps et dévoré par le temps, quand j’avais dans l’éternelle simplicité un froment, un vin, une huile tout autres 65.

4. 11. Et je poussais un cri, au verset suivant, un cri du fond de mon cour: Oh! dans la paix. Oh! dans l’être même. Oh! qu’a-t-il dit ? Je m’endormirai et je prendrai mon sommeil? 66 Mais, en effet, qui pourrait nous résister quand se réalisera la parole qui est écrite: la mort a été absorbée dans la victoire 67 ? Tu es, toi, « cet être même s par excellence, toi qui ne changes pas 68. En toi est le repos où s’oublient tous les labeurs 69, parce qu’il n’y en a pas d’autre avec toi, et qu’il ne s’agit pas de mille autres choses à saisir qui ne sont pas ce que tu es, mais c’est toi seul, Seigneur, qui m’as établi dans l’Unique en espérance 70. Je lisais et je brûlais, mais je ne trouvais que faire à ces âmes sourdes et mortes dont j’avais fait partie, moi, le fléau, l’aboyeur hargneux et aveugle dressé contre les Saintes Lettres, ruisselantes de miel, du miel des cieux, et lumineuses de ta lumière 71Et songeant aux ennemis de ces Écritures, je me desséchais de dégoût 72.

Guérison subite d’une rage de dents.

4. 12. Quand pourrai-je tout rappeler, de ces jours de vacances? Mais ce que je n’ai pas oublié, et que je ne tairai point, c’est l’âpreté de ton fouet et l’admirable promptitude de ta miséricorde. Tu me torturais à ce moment par une rage de dents. Comme elle s’était aggravée au point de m’enlever la force de parler, une idée se leva dans mon esprit 73, celle de recommander à tous les miens qui étaient là, de te prier pour moi, ô Dieu de tout salut 74. Je l’écrivis sur une tablette que je leur donnai à lire. A peine avions-nous, dans un sentiment de supplication, planté nos genoux à terre, la douleur s’était enfuie; mais quelle douleur! et quelle façon de s’enfuir! J’en eus de l’épouvante, je l’avoue, mon Seigneur, mon Dieu 75; jamais en effet, de ma vie, je n’avais fait pareille expérience. Ainsi, s’insinuèrent en moi en profondeur les signes de ta puissance; et joyeux dans la foi, je louai ton nom 76. Cette foi, pourtant, ne me laissait pas tranquille au sujet de mes péchés passés, que ton baptême ne m’avait pas encore remis.

Lettre à Ambroise.

5. 13. Je rendis publique ma démission, à la fin des vacances des vendanges, avertissant les Milanais de se pourvoir pour leurs écoliers d’un autre vendeur de paroles; c’est que, d’une part, j’avais choisi ton service, et, de l’autre, continuer cette carrière avec une respiration difficile et une douleur dans la poitrine, était au-dessus de mes forces. Je glissai dans une lettre à ton évêque, le saint homme Ambroise, l’aveu de mes erreurs passées et de mon désir actuel, lui demandant ce que, de préférence, je devais lire de tes Livres pour me rendre plus apte et mieux préparé à recevoir une aussi grande grâce. Or, il me conseilla le prophète Isaïe, parce que, je suppose, il annonce par avance plus clairement que tous les autres l’Évangile et la vocation des gentils. Mais moi, au premier passage que je lus, je ne compris pas et je crus que tout le livre était ainsi; alors j’attendis, pour le reprendre, d’être plus familiarisé avec le langage du Seigneur.

Retour à Milan et préparation du baptême Adéodat.

6. 14. Ensuite, quand vint le moment où il fallait donner mon nom1, nous quittâmes la campagne pour revenir à Milan. Alypius, lui aussi, décida de renaître en toi avec moi il était déjà revêtu de l’humilité qui convient à tes mystères, et il avait vigoureusement dompté son corps jusqu’à fouler, pieds nus, le sol glacé de l’Italie, avec une intrépidité peu ordinaire. Nous nous adjoignîmes également le jeune Adéodat, le fils de ma chair et de mon péché. Tu avais fait de lui une belle œuvre : il avait environ quinze ans et déjà dépassait en intelligence bien des hommes graves et instruits. Je te confesse tes dons, Seigneur mon Dieu, créateur de toutes choses 77, assez puissant pour donner une forme à ce qui en nous est difforme. Car, dans cet enfant, hormis le péché, il n’y avait rien à moi. Sans doute nous le nourrissions de ton enseignement, mais c’est toi qui nous l’avais inspiré, pas un autre! Je te confesse tes dons. Il est un de nos livres qui a pour titre « Le Maitre ». Adéodat lui-même y dialogue avec moi. Toi, tu sais 78 bien qu’elles sont de lui, toutes les pensées que je prête dans ce livre au personnage de mon interlocuteur; il était dans ses seize ans. Je connais de lui par expérience bien d’autres choses plus étonnantes. J’étais saisi d’horreur sacrée devant son génie. Qui donc, en dehors de toi, eût été l’artisan de telles merveilles ? Tu t’es hâté de l’enlever à la vie de la terre et c’est avec plus de sécurité que je me souviens de lui, n’ayant plus aucune crainte pour son enfance, aucune pour son adolescence, absolument aucune pour sa vie d’homme. Nous nous l’associâmes, lui qui avait le même âge que nous dans ta grâce, pour l’élever dans ton enseignement. Et nous reçûmes le baptême, et s’enfuit loin de nous l’inquiétude pour notre vie passée. Et j’étais insatiable en ces jours-là de l’admirable douceur que je goûtais à considérer la profondeur de ton dessein sur le salut du genre humain. Que j’ai pleuré dans tes hymnes et tes cantiques, aux suaves accents des voix de ton Église qui me pénétraient de vives émotions 79! Ces voix coulaient dans mes oreilles, et la vérité se distillait dans mon cœur; et de là sortaient en bouillonnant des sentiments de piété, et des larmes roulaient et cela me faisait du bien de pleurer.

Les hymnes ambrosiennes.

7. 15. Il n’y avait pas longtemps qu’on avait adopté, dans l’Église de Milan, cette manière de se consoler et de s’encourager, où les frères avec enthousiasme chantaient ensemble dans l’union des voix et des cours. Il devait y avoir un an, pas beaucoup plus, que Justine, mère du jeune roi Valentinien, s’était mise à persécuter Ambroise, ton représentant, poussée par l’hérésie dans laquelle les Ariens l’avaient égarée. La nuit, le peuple fidèle montait la garde dans l’église, prêt à mourir avec son évêque, ton serviteur. Il y avait là ma mère, ta servante, qui se tenait la première à ce poste d’inquiétude et de veille, et vivait de prières. Nous-mêmes, âmes encore froides loin de la chaleur de ton Esprit, nous ressentions pourtant le trouble de la cité consternée. C’est à cette occasion qu’on se mit à chanter les hymnes et les psaumes selon la coutume des régions d’Orient, pour empêcher le peuple de sécher de tristesse et d’ennui institution qui, depuis lors jusqu’à ce jour, s’est maintenue et que déjà un grand nombre et presque la totalité de tes ouailles, même dans le reste du monde, ont imitée.

Découverte des corps des saints Gervais et Protais.

7. 16. Vers cette époque, à ton évêque que j’ai mentionné, tu révélas dans une vision le lieu où se trouvaient cachés les corps des martyrs Protais et Gervais. Pendant tant d’années, tu les avais préservés de la corruption et cachés dans le trésor de ton secret, pour les en retirer en temps opportun, afin de confondre une rage de femme, mais aussi de reine. En effet, pendant que ces corps, découverts et exhumés, étaient transférés avec tout l’honneur requis à la basilique d’Ambroise, des hommes tourmentés par les esprits immondes recouvraient, de l’aveu de ces mêmes démons, une santé parfaite 80. Bien plus, quelqu’un qui était aveugle depuis plusieurs années, un citoyen très connu dans la cité, entendant l’allégresse tumultueuse de la foule, en demanda la cause, l’apprit, bondit sur ses jambes et pria son guide de le conduire sur les lieux. Arrivé là, il obtint de s’approcher pour toucher de son mouchoir le brancard où reposait, précieuse devant ton regard, la dépouille mortelle de tes saints 81. Il le fit, puis porta l’étoffe à ses yeux; à l’instant les voilà ouverts. Et la nouvelle de courir partout; et les louanges de monter vers toi ardentes, éclatantes; et ton illustre ennemie, sans diriger son cour vers la foi qui guérit, de retenir du moins son furieux délire de persécution. Je te rends grâces, mon Dieu!  82 D’où as-tu ramené, où as-tu mené mon souvenir pour que je te confesse encore ces événements ? Tout grands qu’ils étaient, je les avais oubliés, ils m’avaient échappé. Et pourtant à ce moment, quand s’exhalait ainsi l’odeur de tes parfums, nous ne courions pas après toi 83. C’est pourquoi je pleurais davantage au chant de tes hymnes, car depuis longtemps je soupirais après toi, et je respirais enfin, pour autant que la brise a champ libre dans une maison de foin.

II. La vie et la mort de Monique

Evodius. Education de Monique.

8. 17. Toi qui fais demeurer dans la même maison ceux qui ont même cœur 84, tu fis entrer aussi dans notre groupe Evodius, un jeune homme de notre municipe. Servant comme chargé de mission, avant nous il vint à toi converti 85, se fit baptiser, et, renonçant à la milice du siècle, prit les armes dans la tienne. Nous vivions ensemble, saintement décidés à demeurer ensemble. Nous cherchions en quel lieu nous serions plus utilement à ton service, et, de concert, nous revenions en Afrique. Nous étions à Ostie près des bouches du Tibre, quand ma mère mourut. Je passe beaucoup de choses, car je me hâte beaucoup. Accueille mes confessions et mes actions de grâces, mon Dieu, pour d’innombrables choses, même quand je les tais. Mais je ne passerai rien de ce qu’en moi conçoit mon âme sur ta digne servante, celle qui m’a conçu pour me faire naître et de sa chair à la lumière du temps et de son cour à celle de l’éternité. Je vais dire les dons, non pas les siens, mais les tiens en elle. Oui, elle-même ne s’était pas faite ni élevée elle-même c’est toi qui la créas, et ni son père ni sa mère ne savaient quelle femme naîtrait d’eux. Elle fut instruite dans ta crainte 86, par la baguette de ton Christ 87, par l’autorité de ton Fils Unique, dans une maison de foi qui était un membre sain de ton Église. Elle ne vantait pas tant les soins attentifs de sa mère pour son éducation, que ceux d’une servante cassée par l’âge, qui avait porté le père de Monique tout enfant sur son dos, comme les filles déjà grandelettes portent souvent les tout petits. A cause de cela, et aussi de sa vieillesse et de son excellente conduite, dans cette maison chrétienne, elle était l’objet, de la part de ses maîtres, de bien des égards. Par suite, on lui avait encore confié les filles de ses maîtres : elle en prenait un soin vigilant, et elle usait, pour les corriger au besoin, d’une vive et sainte sévérité, et pour les former, d’une discrète prudence. Ainsi, en dehors des heures où elles prenaient à la table de leurs parents un bien modeste repas, fussent-elles dévorées d’une ardente soif, elle ne leur permettait même pas de boire de l’eau; c’était pour prévenir une mauvaise habitude; et elle ajoutait cette sage parole 88: «Maintenant c’est de l’eau que vous buvez, parce que vous n’avez pas de vin à votre discrétion; mais, une fois mariées et devenues maîtresses de la dépense et du cellier, l’eau vous paraîtra bien fade tandis que l’habitude de boire prévaudra. » Cet art de la recommandation et cette autorité du commandement lui permettaient de refréner l’avidité d’un âge trop tendre; et, chez des jeunes filles, elle éduquait la soif elle-même en l’amenant à une honnête mesure, si bien qu’on ne désirait plus ce qui ne convenait pas.

Comment Monique fut corrigée d’une fâcheuse habitude.

8. 18. Sournoisement pourtant, – comme ta servante me le racontait à moi, son fils – sournoisement s’était glissé en elle le goût du vin. Selon l’usage, ses parents l’envoyaient, comme une jeune fille sobre, tirer du vin au tonneau; elle plongeait une coupe par l’ouverture du dessus; mais, avant de verser dans le cruchon le vin pur, du bout des lèvres elle en goûtait, très peu d’ailleurs, car elle n’en pouvait supporter davantage sans éprouver de répugnance. En fait, ce n’était pas un penchant à l’ivresse qui l’entraînait à cet acte, mais certain débordement de jeunesse exubérante qui bouillonne en espiègleries, et que, dans des âmes d’enfants, l’influence des grandes personnes arrive à réprimer d’ordinaire. Ainsi donc, à cette petite gorgée elle ajoutait chaque jour de petites gorgées et, parce que celui qui méprise les petites choses en vient peu à peu à la chute 89, elle avait glissé jusqu’à l’habitude d’avaler avidement des coupes déjà presque pleines de vin pur. Où était alors la vieille servante avec son esprit avisé et ses vigoureuses interdictions ? Est-ce qu’elle pouvait quelque chose contre cette maladie qui lui échappait, si toi, Seigneur, avec ton remède tu ne veillais sur nous ? En l’absence du père, de la mère et de ceux qui l’élevaient, tu étais présent, toi qui as créé, toi qui appelles et qui aussi, par l’entremise des hommes, réalises quelque bien pour la santé des âmes. Quas-tu donc fait alors, mon Dieu ? Où as-tu pris le remède ? où as-tu pris la guérison ? N’as-tu pas tiré d’une antre âme le sarcasme dur et acéré, tel un fer guérisseur sorti de tes secrètes réserves, et n’as-tu pas d’un seul coup tranché cette gangrène ? De fait, une servante qui l’accompagnait d’habitude au tonneau, se prit de dispute avec sa jeune maîtresse, ce qui arrive, et seule à seule lui jeta ce grief à la face dans une insulte fort amère en l’appelant «petite buveuse de vin pur »! Elle, percée par ce coup d’aiguillon, remarqua son hideux défaut, sur-le-champ le réprouva et s’en défit. Si les amis gâtent par leurs flatteries, les ennemis corrigent très souvent par leurs invectives. Et toi, pour les payer, tu ne comptes pas ce que tu fais par eux, mais ce qu’eux-mêmes ont voulu faire. Oui, cette servante dans sa colère cherchait à exaspérer sa jeune maîtresse, non pas à la guérir; et si elle agit sans témoin, c’est que ou bien cela s’était rencontré ainsi à l’endroit et au moment de la dispute, ou bien peut-être elle avait peur de se compromettre elle-même pour avoir tant retardé la dénonciation. Mais toi, Seigneur, qui diriges tout au ciel et sur terre, qui tournes à ton service les profondeurs du torrent, qui ordonnes le flot turbulent des siècles, tu as tiré même de la fureur d’une âme malsaine la santé d’une autre âme; car tu veux qu’en remarquant cela, nul homme n’attribue le résultat à son propre pouvoir, si par sa parole un autre est corrigé, dont il souhaite la correction.

Monique et ses devoirs d’épouse.

9. 19. Ainsi donc, elle fut élevée dans la pudeur et la tempérance, et par toi soumise à ses parents plutôt que soumise à toi par ses parents. Dès qu’elle eut atteint pleinement l’âge nubile 90, elle fut donnée à un homme qu’elle servit comme son maître 91. Elle mit tout en œuvre pour le gagner à toi 92, en lui parlant de toi par ses vertus, qui te servaient à la rendre belle et digne d’amour, de respect, d’admiration aux yeux de son époux. D’ailleurs, elle supporta des outrages au lit conjugal sans jamais avoir avec son mari à ce sujet la moindre brouille. C’est qu’elle attendait l’effet de ta miséricorde 93 sur lui, la foi en toi qui le rendrait chaste. Lui, du reste, était porté en vérité aussi bien à une obligeance sans égale qu’à une bouillante irascibilité. Mais elle savait, elle, ne pas tenir tête à la colère de l’homme, non seulement par un acte, mais même par une parole. Aussitôt la crise passée et le calme revenu, dès qu’elle le voyait disposé, elle lui rendait compte de sa conduite à elle, si par hasard il s’était emporté d’une façon trop irréfléchie. Enfin beaucoup de femmes, mariées à des hommes plus doux, portaient cependant des traces de coups jusque sur leur visage défiguré et, entre amies, dans leurs conversations, elles mettaient en cause la conduite de leurs maris; ma mère, elle, s’en prenait à leur langue et leur donnait sur le ton plaisant ce sérieux avertissement que, du jour où elles s’étaient entendu lire ces tablettes qu’on appelle tablettes du mariage, elles auraient dû voir là un document qui faisait d’elles des servantes; en conséquence, au souvenir de leur condition, elles n’avaient pas le droit de se dresser fièrement contre leurs maîtres. Ces femmes s’étonnaient; car elles connaissaient le fougueux époux qu’elle avait à supporter, et pourtant on n’avait jamais entendu dire, aucun indice n’avait révélé, que Patrice eût battu sa femme ou qu’il y ait eu entre eux, fût-ce l’espace d’un seul jour, une querelle domestique, un dissentiment pour les séparer. Elles lui en demandaient familièrement la raison et Monique alors leur enseignait son procédé, que je viens de rappeler. Celles qui le suivaient, après expérience l’en remerciaient; celles qui ne le suivaient pas, restaient asservies et maltraitées.

Monique et sa belle-mère.

9. 20. Même sa belle-mère, que des commérages de servantes malveillantes avaient d’abord montée contre elle, fut vaincue par ses égards et sa persévérance dans la patience et la douceur. Si bien que, d’elle-même, cette femme dénonça à son fils les mauvaises langues des servantes, qui mettaient entre elle et sa bru le trouble dans la paix du ménage, et elle en demanda justice. Aussi Patrice, par déférence pour sa mère, par souci du bon ordre familial et dans l’intérêt de la concorde entre les siens, punit des verges les coupables dénoncées, au gré de la dénonciatrice; et celle-ci jura que toute servante devait s’attendre de sa part à de telles récompenses, si quelqu’une lui disait, pour lui plaire, du mal de sa bru. Aucune ne s’y risqua désormais, et c’est dans la douceur d’une bienveillance mutuelle, digne de mémoire, que les deux femmes vécurent.

Don de Monique pour apaiser les discordes.

9. 21. Tu avais fait encore, à celle qui était ton esclave fidèle et dans le sein de qui tu m’as créé, ô mon Dieu, ma miséricorde 94, tu avais fait cadeau d’une grande faveur: dans les dissentiments et les discordes entre n’importe quelles personnes, dès qu’elle pouvait, elle s’offrait en pacificatrice; et elle avait beau entendre de part et d’autre ces multiples et mutuelles récriminations, que vomissent d’ordinaire les cours gonflés d’une discorde mal digérée lorsqu’en présence d’une amie et en l’absence de l’ennemie l’aigreur des propos exhalés trahit la crudité des haines, jamais pourtant à l’une sur l’autre elle ne rapportait rien, sinon ce qui pouvait servir à les réconcilier. Je n’attacherais pas grande importance à cette discrétion, si je n’avais vu, dans ma triste expérience, des fouies innombrables de gens qui, par suite de je ne sais quelle détestable contagion de péché très largement répandue, rapportent à des ennemis irrités des propos d’ennemis irrités, et même en apportent qui n’ont pas été prononcés; au contraire, un homme vraiment humain devrait estimer que c’est peu de ne pas exciter ni accroître les inimitiés des hommes par de mauvaises paroles, si on n’a pas à cœur aussi de les éteindre par de bonnes paroles. C’est ainsi qu’elle était, elle, car tu l’instruisais, toi, le maître intérieur, dans l’école du cœur.

Monique au service de tous.

9. 22. Enfin elle réussit, lorsque son mari était déjà au terme de sa vie temporelle, à le gagner lui aussi à toi 95; et elle n’eut plus à déplorer en celui qui était désormais dans la foi, ce qu’elle avait supporté lorsqu’il n’était pas encore dans la foi. Elle était aussi la servante de tes serviteurs. Tous ceux d’entre eux qui la connaissaient trouvaient en elle ample matière à te louer, à t’honorer, à t’aimer, car ils sentaient ta présence en son cœur, comme les fruits de sainteté de sa vie 96 en témoignaient: on l’avait vue être l’épouse d’un seul homme, payer de retour les bienfaits de ses parents, gouverner pieusement sa maison, produire le témoignage de ses bonnes œuvres. Elle avait élevé ses fils 97, en les enfantant à nouveau 98 autant de fois qu’elle les voyait dévier de toi. Nous tous enfin, Seigneur, puisque ta bienveillance nous permet de nous dire tes serviteurs, nous qui avant son dernier sommeil vivions déjà associés en toi après avoir reçu la grâce de ton baptême, nous avons été l’objet de ses soins, comme si nous étions tous ses fils; et elle s’est mise à notre service, comme si nous l’avions tom pour fille.

La contemplation d’Ostie.

10. 23. Or, le jour était imminent où elle allait quitter cette vie, jour que tu connaissais, toi, mais que nous, nous ignorions. Il se trouva, par tes soins j’en suis sûr, par tes secrètes dispositions, que nous étions seuls, elle et moi, debout, accoudés à une fenêtre; de là, le jardin intérieur de la maison où nous logions se présentait à nos regards: c’était à Ostie, près des bouches du Tibre, à l’écart des agitations, après les fatigues d’un long voyage; nous y refaisions nos forces pour la traversée. Donc, nous parlions ensemble dans un tête-à-tête fort doux. Oubliant le passé, tendus vers l’avenir 99, nous nous demandions entre nous, en présence de la Vérité que tu es 100, toi, ce que pourrait être cette vie éternelle des saints que ni l’œil n’a vue, ni l’oreille entendue, ni le cour de l’homme senti monter en lui 101. Mais nous tenions grande ouverte la bouche de notre cour vers les eaux qui ruissellent d’en haut de ta source, de la source de vie qui est près de toi 102, afin d’en être arrosés selon notre capacité, et de pouvoir de quelque façon concevoir une si grande réalité.

10. 24. Et l’entretien nous amenait à cette conclusion: le plaisir des sens charnels, si grand qu’on le veuille, si baigné de lumière corporelle qu’on le veuille, placé en face de la félicité de l’autre vie, ne supportait aucune comparaison, et même ne paraissait pas digne de mention. Alors, nous élevant d’un cœur plus ardent vers « l’être même » 103, nous avons traversé, degré par degré, tous les êtres corporels, et le ciel lui-même, d’où le soleil, la lune et les étoiles jettent leur lumière sur la terre. Et nous montions encore au-dedans de nous-mêmes, en fixant notre pensée, notre dialogue, notre admiration sur tes œuvres. Et nous sommes arrivés à nos âmes; nous les avons dépassées pour atteindre la région de l’abondance inépuisable 104 où tu repais Israel 105 à jamais dans le pâturage de la vérité. C’est là que la vie est la sagesse par qui sont faites toutes les choses présentes et celles qui furent et celles qui seront; la sagesse, elle, n’est pas faite mais elle est comme elle fut, et ainsi elle sera toujours. Et même plutôt, 1’« avoir été» et le « devoir être» ne sont pas en elle, mais 1’« être » seulement, puisqu’elle est éternelle, car «avoir été » et le « devoir être », ce n’est pas de l’éternel. Et pendant que nous parlons et aspirons à elle, voici que nous la touchons, à peine, d’une poussée rapide et totale du cœur. Nous avons soupiré, et nous avons laissé là, attachées, les prémices de l’esprit 106; et nous sommes revenus au bruit de nos lèvres, où le verbe et se commence et se finit. Mais quoi de semblable à ton Verbe, notre Seigneur, qui demeure en soi sans vieillir, et renouvelle toutes choses 107.

10. 25. Nous disions donc: Si en quelqu’un faisait silence le tumulte de la chair, silence les images de la terre et des eaux et de l’air, silence même les cieux, et si l’âme aussi en soi faisait silence et se dépassait ne pensant plus à soi, silence les songes et les visions de l’imagination si toute langue et tout signe et tout ce qui passe en se produisant faisaient silence en quelqu’un absolument – car, si on peut les entendre, toutes ces choses disent: « Ce n’est pas nous qui nous sommes faites mais celui-là flous a faites 108 demeure à jamais 109 », – cela dit, si désormais elles se taisaient puisqu’elles nous ont dressé l’oreille vers celui qui les a faites, et s’il parlait lui-même, seul, non par elles mais par lui-même, et qu’il nous fît entendre son verbe non par langue de chair, ni par voix d’ange, ni par fracas de nuée 110, ni par énigme de parabole 111, mais que lui-même, que nous aimons en elles, lui-même se fît entendre à nous sans elles, – comme à l’instant nous avons tendu nos êtres et d’une pensée rapide nous avons atteint l’éternelle sagesse qui demeure au-dessus de tout -si cela se prolongeait et que se fussent retirées les autres visions d’un ordre bien inférieur, et que celle-là seule ravît et absorbât et plongeât dans les joies intérieures celui qui la contemple, et que la vie éternelle fût telle qu’a été cet instant d’intelligence après lequel nous avons soupiré… n’est-ce pas cela que signifie « Entre dans la joie de ton Seigneur »  112 ? Et pour quand, cette joie ? N’est-ce pas pour le jour où nous ressusciterons tous sans être tous changés 113 ?

Monique a le pressentiment de sa mort.

10. 26. Je disais des choses de ce genre, sinon de cette façon et en ces termes. Du moins, Seigneur, tu sais 114 que ce jour-là, comme nous parlions ainsi et que ce monde pour nous au fil des paroles perdait tout intérêt avec tous ses plaisirs, ma mère dit alors: «Mon fils, en ce qui me concerne, plus rien n’a de charme pour moi dans cette vie. Que pourrais-je faire encore ici-bas ? Pourquoi y serais- je? Je ne sais; je n’ai plus rien à espérer de ce siècle. Une seule chose me faisait désirer de rester assez longtemps dans cette vie : te voir chrétien catholique avant ma mort. Je suis plus que comblée dans ce que mon Dieu m’a accordé: tu es allé jusqu’à mépriser les félicités de la terre et je te vois son serviteur. Qu’est-ce que je fais ici?».

Maladie de Monique.

11. 27. Que lui ai-je répondu? Je ne m’en souviens pas bien, d’autant que sur ces entrefaites, dans les cinq jours à peine ou ce ne fut guère plus, la fièvre la mit au lit. Et pendant sa maladie, un jour, elle subit une défaillance et son esprit perdit un instant conscience de ce qui l’entourait. Nous accourûmes, mais elle eut vite repris ses sens; elle nous vit, mon frère et moi, debout près d’elle, et nous dit avec l’air de quelqu’un qui cherche quelque chose : «Où étais-je ? » Puis, arrêtant ses regards sur nous que la tristesse consternait : « Vous enterrez ici votre mère », dit-elle. Moi, je me taisais et maîtrisais mes larmes; mais mon frère lui dit quelque chose pour souhaiter, comme un sort plus heureux, qu’elle ne finît pas ses jours en terre étrangère, mais dans la patrie. Dès qu’elle entendit cela, son visage devint anxieux, et ses yeux lui lançaient des reproches parce qu’il avait de tels sentiments. Et puis, le regard fixé sur moi «Vois ce qu’il dit ! » me dit-elle; et presque aussitôt, elle ajouta pour tous les deux : «Enterrez ce corps n’importe où! Ne vous troublez pour lui d’aucun souci! Tout ce que je vous demande, c’est de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur, où que vous soyez. » Elle expliqua sa pensée en s’exprimant comme elle pouvait, puis se tut; la maladie qui s’aggravait la faisait souffrir.

11. 28. Mais moi, qui songeais à tes dons, ô Dieu invisible 115, à ce que tu sèmes dans le cœur de tes fidèles et d’où proviennent des moissons admirables, je me réjouissais et te rendais grâces 116, me rappelant ce que je savais, l’inquiétude si grande qui l’avait toujours agitée au sujet de la sépulture, qu’elle avait prévue et préparée pour elle près du corps de son mari. Oui, parce qu’ils avaient vécu en parfaite concorde, elle voulait encore, tant l’âme humaine a de peine à comprendre les choses divines, ajouter à ce bonheur et faire dire à son sujet par la postérité il lui fut accordé, après un long voyage outre-mer, qu’une terre conjointe couvrît la terre des deux conjoints. Mais à quel moment cette vanité, par la plénitude de ta bonté 117, avait-elle cessé d’occuper son cœur ? Je l’ignorais et j’étais dans la joie, tout surpris que ma mère me fût apparue ainsi. Déjà cependant, lors de notre entretien à la fenêtre, elle avait dit: « Que fais-je encore ici ? » et rien n’avait laissé voir qu’elle désirait mourir dans sa patrie. De plus, je l’appris plus tard, à peine étions-nous à Ostie que quelques-uns de mes amis, avec qui en toute confiance maternelle elle s’entretenait un jour sur le mépris de cette vie et le bienfait de la mort, en mon absence, furent stupéfaits d’une telle vertu dans une femme c’est toi qui la lui avais donnée – et lui demandèrent si elle ne redoutait pas de laisser son corps si loin de son pays. «Rien n’est loin pour Dieu, répondit-elle, et il n’y a pas à craindre qu’il ne sache point où me retrouver à la fin du monde pour me ressusciter ».

Mort de Monique.

Ainsi donc, au neuvième jour de sa maladie, à la cinquante-sixième année de son âge, à la trente-troisième de mon âge, cette âme religieuse et pieuse se détacha du corps.

Efforts d’Augustin pour refouler ses larmes.

12. 29. Je lui fermais les yeux, et dans mon cœur s’amassaient les flots d’une immense tristesse qui allait s’écouler en flots dc larmes, mais au même instant mes yeux, sur un ordre violent de mon âme, résorbaient la source de leurs pleurs jusqu’à la dessécher; et pareille lutte me faisait très mal. Or, au moment où elle avait exhalé le dernier soupir, l’enfant qu’était Adéodat avait poussé des cris de douleur et puis, sur notre intervention unanime, il les avait refoulés et s’était tu. De la même manière, ce qui restait en moi de l’enfance et qui allait glisser dans les larmes, sur l’intervention de la voix virile du cour, se laissait refouler et se taisait. Oui, nous estimions qu’il ne convenait pas de célébrer un deuil comme celui-là par des plaintes, des larmes et des gémissements, parce que le plus souvent, eu agissant ainsi, on a coutume de déplorer en ceux qui meurent une espèce de misère ou comme une disparition totale. Mais pour ma mère, ce n’était ni une mort misérable, ni une mort totale. Nous en avions la certitude, et par le témoignage de ses vertus et par une foi sans feinte 118 et par des raisons certaines.

12. 30. D’où venait donc qu’au-dedans de moi la douleur fût si lourde, si ce n’est de l’habitude de vivre ensemble, habitude très douce et très chère dont la rupture soudaine ouvrait une blessure ? Je pouvais sans doute me féliciter de son témoignage : au cours même de cette dernière maladie, répondant à mes attentions par des caresses, elle m’appelait «bon fils», elle mentionnait avec un immense sentiment de tendresse qu’elle n’avait jamais entendu sortir de ma bouche un trait dur décoché contre elle, ni une parole où résonnât l’injure. Et pourtant, quelle ressemblance, ô mon Dieu, toi qui nous as faits 119, quelle comparaison y avait-il entre le respect que je lui portais, moi, à elle, et le dévouement qu’elle avait, elle, pour moi ? Ainsi, parce que j’étais privé en elle d’une si grande consolation, mon âme était blessée et ma vie était comme mise en pièces, ma vie qui n’avait fait qu’un avec la sienne.

12. 31. Donc, une fois refoulées les larmes de cet enfant, » » Evodius saisit le psautier et se mit à chanter un psaume. Toute la maison lui répondait. C’était «Ta miséricorde et ta justice, je te la chanterai Seigneur»  120. Or, à la nouvelle de l’événement, il vint un grand nombre de frères et de pieuses femmes. Pendant que, selon la coutume, ceux qui en avaient l’office s’occupaient des soins funéraires, moi, à l’écart, dans un endroit où je pouvais le faire décemment, avec ceux qui estimaient de leur devoir de ne pas me laisser seul, je m’entretenais de sujets adaptés à la circonstance. Et par ce baume de la vérité, j’adoucissais le tourment que tu connaissais; eux l’ignoraient et ils m’écoutaient attentivement, en croyant que je ne ressentais aucune douleur. En réalité, moi, dans tes oreilles, là où aucun d’eux ne m’entendait, je grondais contre l’attendrissement de ma sensibilité. J’essayais de contenir les flots de ma tristesse. Ils reculaient à. peine sous mes efforts, et de nouveau leur élan les emportait, sans aller cependant jusqu’à l’éruption des larmes, ni jusqu’à l’altération du visage; mais moi je savais bien ce que je refoulais dans mon cœur. J’éprouvais un violent déplaisir, en voyant quel grand pouvoir prenaient sur moi ces accidents humains qui, suivant l’ordre obligé et le sort de notre condition, doivent nécessairement arriver; et ainsi ma propre souffrance me faisait souffrir une nouvelle souffrance, et une double tristesse me minait.

Les obsèques.

32. Mais voici que la levée du corps1 s’est faite : nous partons, nous revenons, sans une larme. Car, même pendant ces prières que nous avons épanchées en toi, tandis que l’on offrait pour elle le sacrifice de notre rachat devant son cadavre déjà posé près de la tombe2 avant qu’on l’y déposât selon la coutume locale, donc même pendant ces prières, je n’ai pas pleuré! Mais toute la journée, je fus accablé secrètement par la tristesse; et dans le trouble de mon esprit, je te priais, comme je pouvais, de guérir ma souffrance; et tu ne le faisais pas. Sans doute voulais-tu confier à ma mémoire, fût-ce par cet unique exemple, que toute habitude est une chaîne, même pour un esprit qui ne se nourrit plus de parole trompeuse. Je crus bon encore d’aller prendre un bain, car j’avais entendu dire que les «bains» tirent leur nom du mot grec «βαλανεîον », c’est-à-dire qu’ils chassent l’angoisse de l’âme. Mais voilà cela aussi je le confesse à ta miséricorde, ô Père des orphelins 121, je pris mon bain et j’étais exactement le même qu’avant de le prendre; non, de fait, la sueur amère de ma tristesse ne sortit pas de mon cour. Ensuite je m’endormis; à mon réveil, je trouvai en grande partie ma souffrance adoucie, et, dans la solitude de mon lit, je me rappelai les vers si vrais de ton ‘Ambroise : Oui, c’est toi,

Dieu créateur de toutes choses,
qui règles les cieux, qui revêts
le jour de seyante lumière,
la nuit des grâces du sommeil,

afin qu’aux membres détendus
le repos rende aisé l’ouvrage,
qu’il soulage l’esprit lassé
et des deuils qu’il dénoue l’angoisse 122.

Augustin laisse enfin couler ses larmes.

12. 33. Puis, peu à peu, je revenais à mes sentiments antérieurs sur ta servante; je revoyais sa conduite et sa piété envers toi, et envers nous sa sainte et complaisante tendresse, dont j’étais tout à coup privé. Je pris plaisir à pleurer devant toi 123, sur elle et pour elle, sur moi et pour moi. Je lâchai les larmes que je retenais, pour les laisser couler autant qu’elles voudraient et en faire un lit sous mon cour. Il y trouva son repos, car tu étais là prêtant l’oreille, toi, et non pas quelque homme qui eût avec superbe interprété mes pleurs. Et maintenant, Seigneur, j’écris cette confession pour toi. Lise qui voudra! qu’on interprète comme on voudra! Et si quelqu’un trouve que j’ai péché en pleurant ma mère durant quelques minutes, cette mère qui était morte pour un temps à mes yeux, mais qui avait pleuré durant de nombreuses années pour me faire vivre à tes yeux, qu’il ne se moque point; mais plutôt, s’il est homme de grande charité, qu’il pleure lui-même pour mes péchés, devant toi, le Père de tous les frères de ton Christ.

Prière pour l’âme de Monique.

13. 34. Quant à moi, le cour enfin guéri de cette blessure où l’on pouvait blâmer une faiblesse de la chair, je répands devant toi, ô notre Dieu, pour celle qui fut ta servante, des larmes d’un tout autre genre; elles coulent d’un esprit fortement ébranlé au spectacle des dangers de toute âme qui meurt en Adam. Sans doute, une fois vivifiée dans le Christ 124, même avant d’être délivrée des liens de la chair, elle a vécu de manière à faire louer ton nom dans sa foi et sa conduite; et pourtant, je n’ose dire qu’à partir du moment où tu la régénéras par le baptême 125, aucune parole contraire à ton précepte n’est sortie de sa bouche. Or, il a été dit par la Vérité, par ton fils 126: « Si quelqu’un dit à son frère « fou », il sera passible de la géhenne du feu »  127. Malheur à la vie de l’homme, fût-elle louable, si pour la passer au crible tu mets de côté ta miséricorde! Mais, parce que tu ne recherches pas les fautes avec acharnement, c’est avec confiance que nous espérons une place auprès de toi. Quiconque d’ailleurs t’énumère ses vrais mérites, que t’énumère-t-il sinon tes propres dons ? Oh ! s’ils se reconnaissaient hommes, les hommes et si celui qui se glorifie, se glorifiait dans le Seigneur 128!

13. 35. Pour moi donc, ô ma louange 129 et ma vie, ô Dieu de mon cour 130, laissant un instant de côté ses bonnes actions, pour lesquelles je te rends grâces dans la joie 131, maintenant c’est pour les péchés de ma mère que je t’implore. Exauce-moi 132 par celui qui fut le remède de nos blessures suspendu au bois 133, et qui, siégeant à ta droite, t’interpelle pour nous 134! Je sais qu’elle a pratiqué la miséricorde, et de tout cour remis leurs dettes à ses débiteurs. Remets-lui toi aussi ses dettes 135, si elle-même eu a contracté durant tant d’années après l’ablution du salut! Remets, Seigneur, remets-les, je t’en supplie 136N’entre pas en justice avec elle 137! Que la miséricorde passe par-dessus la justice 138, puisque tes paroles sont vraies et que tu as promis la miséricorde aux miséricordieux 139S’ils le furent, c’est à Toi qu’ils l’ont dû, toi qui auras pitié de qui tu voudras avoir pitié, et qui accorderas miséricorde à qui tu voudras faire miséricorde 140.

Foi de Monique pour le sacrifice eucharistique.

13. 36. Mais, je le crois, tu auras, déjà fait ce que je te demande. Pourtant, ces vœux spontanés de ma bouche, agrée-les, Seigneur 141Et, de fait, à l’approche du jour de sa délivrance 142, elle n’eut point la pensée de faire envelopper somptueusement son corps ou de le faire embaumer dans les aromates, ni le désir d’un monument de choix, ni le souci d’un tombeau dans sa patrie. Non, ce n’est pas cela qu’elle nous recommanda mais seulement de faire mémoire d’elle à ton autel; ce fut son désir. Car, sans manquer un seul jour, elle avait servi cet autel, sachant que là se distribue la victime sainte qui a aboli l’arrêt porté contre nous et triomphé de l’ennemi 143, celui qui suppute nos fautes en cherchant de quoi nous inculper, mais ne trouve rien en Celui en qui nous sommes vainqueurs 144. Qui lui reversera à son compte son sang innocent ? Le prix dont il nous acheta, qui le lui remboursera pour nous enlever à lui 145? A ce mystère du prix de notre rachat, ta servante attacha son âme par le lien de la foi. Que personne ne l’arrache à ta protection! Que ne s’interpose ni par violence ni par ruse le Lion et Dragon 146! Car elle ne répondra pas qu’elle ne doit rien, de peur que l’accusateur captieux ne la confonde et ne l’obtienne: mais elle répondra que ses dettes lui ont été remises par Celui à qui personne ne restituera ce qu’à notre place il a restitué sans en avoir la dette.

Conclusion.

13. 37. Qu’elle soit donc dans la paix avec son mari: avant lui personne, après lui personne ne l’eut comme épouse 147; elle l’a servi en t’offrant le fruit de sa patience 148, afin de le gagner à toi, lui aussi 149! Et puis inspire, mon Seigneur, mon Dieu 150, inspire à tes serviteurs mes frères, à tes fils mes seigneurs, au service de qui je mets et mon cour et ma voix et mes écrits, à tous ceux d’entre eux qui liront ces lignes, de se souvenir à ton autel de Monique ta servante, et de Patrice qui fut son époux, ceux par la chair de qui tu m’as introduit dans cette vie, sans que je sache comment. Que dans un sentiment de piété ils se souviennent d’eux, mes parents dans cette lumière passagère, mes frères en toi notre Père et dans l’Église catholique notre Mère, mes concitoyens dans la Jérusalem éternelle vers laquelle soupire ton peuple en pérégrination, depuis le départ jusqu’à la rentrée ! De la sorte, le vœu suprême qu’elle m’adressa sera plus abondamment rempli par les prières d’un grand nombre, grâce à ces confessions, que par mes seules prières.

Source : https://www.augustinus.it/francese/confessioni

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