Saint Jean Climaque : L’échelle sainte

VINGT-UNIÈME DEGRÉ
De la vaine gloire, si variée dans ses formes.
1. Certains séparent dans leurs traités, la vaine gloire de l’orgueil; c’est pourquoi, au lieu de sept péchés capitaux, sources ordinaires de tous les autres, ils en comptent huit. Mais saint Grégoire, justement appelé le théologien, et quelques autres docteurs n’en ont marqué que sept; et je partage leur opinion. En effet quel est celui qui, ayant heureusement triomphé de la vaine gloire, demeure sous la captivité de l’orgueil ? Il faut avouer cependant qu’il y a entre ces deux vices la différence qu’on remarque entre un enfant et un homme fait, entre du froment et du pain; car la vaine gloire peut être regardée comme le commencement de l’orgueil, et l’orgueil, comme l’affreuse perfection de la vaine gloire. Or, puisqu’il se présente ici une occasion pour parler de ce vice, nous dirons quelque chose de cette passion impie qui enfle si fort le coeur de celui qui en est possédé. Nous traiterons donc en peu de mots de ses commencements et de ses derniers degrés; car celui qui voudrait épuiser la matière sur ce point, ressemblerait à un homme qui voudrait connaître exactement le poids des vents.
2. La vaine gloire, considérée dans son espèce et dans sa forme, est une passion de l’âme qui cherche à changer la nature des choses, à corrompre la vertu et à repousser les reproches et les réprimandes; et, considérée dans ses propriétés et dans ses effets, c’est un vice qui ne tend qu’à dissiper le fruit de nos travaux, de nos sueurs et de nos peines, à nous dresser des pièges pour nous ravir le trésor de nos bonnes Ïuvres, à nous faire tomber dans l’infidélité et dans l’orgueil, à nous faire éprouver un triste naufrage au port même du salut, à ronger et à consumer notre coeur, et, trop semblable à la fourmi, qui n’est qu’un chétif insecte, à ravager la moisson précieuse de nos vertus. La fourmi attend que la récolte soit ramassée, et la vaine gloire, que les vertus soient acquises; la fourmi en veut aux grains, et la vaine gloire, aux bonnes oeuvres.
3. Le démon ne peut contenir sa joie, lorsqu’il voit que les hommes ont multiplié leurs iniquités; eh ! le croirai-t-on ? le démon de la vaine gloire triomphe, lorsqu’il voit un grand trésor de vertus dans quelques personnes : ah ! c’est qu’il n’ignore pas que, si un grand nombre de blessures spirituelles sont capables de précipiter une âme dans les horreurs du désespoir, un grand nombre de bonnes Ïuvres est également capable de livrer une autre âme à la servitude de la vaine gloire.
4. Faites attention, et vous découvrirez que, jusqu’au tombeau et sous la cendre, cette misérable maîtresse veut se repaître de la magnificence des habits, de la bonne odeur des essences et des parfums, et de la pompe des honneurs, des louanges et des autres choses semblables.
5. Si le soleil répand ses rayons bienfaisants sur toutes les créatures, la vaine gloire verse son poison sur toutes les bonnes oeuvres. Jeûné-je? je suis rempli de vanité; romps-je mon jeûne pour le dérober à la connaissance de mes frères ? je me flatte intérieurement de ma rare prudence; parais-je en publie avec des habits propres et beaux ? J’en suis vain et glorieux; les quitté-je pour en prendre de vils et méprisables ? je m’en glorifie en moi-même: mes paroles et mon silence me font également tomber dans les pièges de l’amour-propre. C’est ainsi qu’on peut justement comparer la vaine gloire à une chausse-trappe qui, de quelque côté qu’elle tombe, lorsqu’on la jette, présente toujours une pointe pour percer les pieds des ennemis.
6. Le vaniteux est un croyant idolâtre; car, d’un côté, il semble adorer Dieu, et de l’autre, c’est à la créature qu’il adresse ses hommages.
7. Toute ami qui poursuit la vanité, ne cherche qu’à se produire avec avantage au dehors. Si elle observe les jeûnes, et qu’elle se livre aux saints exercices de la prière, c’est pour s’attirer les louanges des hommes; c’est pour cela même que ses jeûnes ne méritent aucune récompense.
8. L’homme esclave de la vanité est donc doublement malheureux; car il afflige son corps par des austérités rigoureuses, et n’en reçoit aucun avantage.
9. Or qui pourrait ne pas se moquer de celui qui recherche la vaine gloire ? Ne le voit-on pas pendant la prière se livrer à la joie, de manière à faire croire que son coeur est inondé de plaisirs célestes; et aux pleurs, pour donner à penser qu’il est vivement touché par les sentiments d’une grande douleur et par les affections d’une ardente componction ?
10. Par une Bonté toute particulière, Dieu a soin de nous cacher la vue de nos bonnes Ïuvres; mais un flatteur qui nous trompe, nous ouvre les yeux pour nous les faire observer; et malheureusement elles disparaissent aussitôt que nous les avons vues.
11. Un adulateur est donc un ministre de démons, un maître en orgueil, un exterminateur de la componction, un meurtrier des vertus, et un guide dans le chemin de l’erreur, selon la parole du Prophète :  » Mon peuple, dit le Seigneur, ceux qui t’appellent heureux, ne font que te tromper »(Is 3,12).
13. Il ne faut rien moins qu’une vertu parfaite, une grande générosité, et un courage héroïque pour être capable de supporter et de digérer avec patience les injures et les outrages dont on nous accable; mais il faut une sainteté extraordinaire pour ne pas nous laisser prendre aux douceurs empoisonnées des louanges. J’ai vu des personnes qui pleuraient leurs péchés, et qui, se voyant louées par quelques frères s’emportaient contre eux; mais elles tombaient ainsi d’un défaut qu’elles voulaient éviter, dans un autre, auquel elles ne pensaient pas.
14. « Personne, dit l’Esprit saint, ne connaît ce qu’il y a dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme » (1 Cor 2,11). Cette sentence devrait couvrir de honte et faire taire tous ceux qui sont assez imprudents et assez hardis pour nous louer en face, et nous dire que nous sommes heureux.
15. Quelqu’un, parmi vos proches et vos amis, a-t-il fait quelque calomnie contre vous, soit en votre présence, ou en votre absence ? ne manquez pas de l’excuser par une affection sincère.
16. Il ne faut sûrement pas un petit courage pour rejeter loin de soi le poison enchanteur des louanges que les hommes prodiguent quelquefois, mais il en faut un bien plus grand encore pour détester et maudire celles que donnent les démons; car elles sont beaucoup plus subtiles.
17. Je croirai difficilement à l’humilité de celui qui s’abaisse et se méprise lui-même devant les autres. En effet est-il bien pénible et bien difficile de se supporter quelque temps dans un état où l’on s’est mis soi-même par sa propre volonté ? mais je penserai qu’il pratique réellement cette vertu, celui qui, accablé d’outrages et d’injures, conserve pour celui qui l’insulte la même affection qu’il lui portait avant ces mauvais traitements.
18. Je remarquai un jour que le démon de la vaine gloire inspira certaines pensées à un frère, lesquelles furent révélées à un autre frère, et que le même démon porta ce dernier à découvrir au premier le secret de son coeur, afin de se glorifier et de se faire regarder comme un homme extraordinaire, pour un prophète, en un mot. Mais ce n’est pas seulement notre coeur que le cruel démon de la vaine gloire attaque directement, il se sert encore des membres mêmes de notre corps pour empoisonner notre âme. C’est pour cela, qu’il leur communique des mouvements faciles et aisés.
19. Chassez-le donc bien loin de vous, et ne vous laissez pas tenter par le désir qu’il vous inspire de devenir évêque, higoumène, docteur, ou quelqu’autre chose de semblable. Rappelez-vous qu’il est bien difficile de chasser un chien affamé de l’étalage d’un boucher.
20. Voit-il un moine entrer dans l’heureuse paix de l’âme par la victoire sur les passions ? il cherche aussitôt à l’arracher de son heureuse solitude pour le lancer dans le monde. Sortez d’ici, lui dit-il intérieurement; qu’y faites -vous ? allez travailler au salut de tant d’âmes qui périssent.
21. Autre est l’aspect d’un Éthiopien, et autre celui d’une statue; c’est ainsi que la vaine gloire qui tente les cénobites, ne ressemble guère à la vaine gloire qui travaille les ermites.
22. Elle porte les premiers, lorsqu’ils voient arriver des étrangers dans leur maison, à courir au devant d’eux pour les recevoir, et à se jeter à leurs pieds pour les honorer et s’humilier eux-mêmes; mais intérieurement ils sont remplis d’orgueil : leur humilité est toute extérieure; leurs démarches sont hypocrites; leurs paroles sont fausses et trompeuses; leur modestie est pleine de ruse et de fourberie. En effet, s’ils les appellent leurs seigneurs, leurs protecteurs et, après Dieu, leurs sauveurs, c’est qu’ils ont porté leurs regards sur eux et sur ce qu’ils apportent, et qu’ils en attendent quelque chose. Après cette première cérémonie, vous les verrez exhorter leurs frères qui sont à table à côté de ces étrangers, à garder la plus exacte tempérance, et traiter leurs inférieurs avec une rigueur impitoyable. Alors, quoique dans un autre temps ils soient lâches et négligents à la prière; vous les verrez fervents et pleins d’ardeur pendant ce saint exercice : ils étaient sans voix pour psalmodier, mais à présent ils font entendre des sons sonores et bien articulés; ils se laissaient facilement aller à l’assoupissement pendant l’office, mais ils sont loin maintenant de se livrer au sommeil. Celui qui préside au choeur ces jours-là prend bien soin, en chantant, de rendre sa voix mélodieuse et agréable; il choisit dans cette intention les morceaux principaux de la psalmodie, et s’étudie à se faire appeler père et supérieur par ses autres frères, jusqu’à ce que ces personnes étrangères se retirent du monastère.
23. C’est encore la vaine gloire qui gonfle si fort le coeur des religieux qui se voient élevés au dessus des autres, et qui ronge d’envie et consume de colère le coeur de ceux qui sont inférieurs et obligés d’obéir.
24. Souvent la vaine gloire, au lieu des honneurs qu’on désire et qu’on recherche, ne donne que des sujets d’ignominie et de confusion; car souvent elle couvre d’une sotte honte ceux qu’elle a portés à la colère et aux querelles.
25. Elle rend quelquefois doux et patients devant les autres, ceux qui sont naturellement emportés et irascibles.
26. Elle transporte de joie des personnes qui jouissent des dons et des faveurs de la nature, et se sert aussi de ces mêmes dons pour les rendre malheureuses.
27. Il m’est arrivé de voir ce cruel démon de la vanité vexer et tourmenter extraordinairement un malheureux qui en était esclave; voici comment : Un pauvre religieux avait une dispute avec d’autres religieux; un étranger survint et voulut charitablement rétablir la paix et l’union fraternelle. Mais ce misérable religieux passa tout d’un coup des chaînes de la colère dans celles de la vaine gloire, ne pouvant pas en même temps servir deux maîtres; je veux dire, la colère et la vanité.
28. Celui donc qui est esclave de ce mauvais démon, et qui vit dans un monastère, mène deux sortes de vie; car il lui faut extérieurement suivre les exercices de la communauté, et son esprit et ses pensées, son coeur et ses affections sont entièrement selon les maximes du siècle.
29. Appliquons-nous uniquement à plaire à Dieu, et nous goûterons les douceurs pures et rassasiantes de la gloire céleste, nous n’aurons que du dégoût pour les fausses délices de la gloire mondaine; car il m’est impossible de croire qu’il puisse même ressentir les douces jouissances que procure la gloire du ciel, celui qui n’a jamais foulé aux pieds la gloire du monde.
30. Il arrive néanmoins quelquefois que, nous étant laissés dépouiller par la vaine gloire de toutes les richesses spirituelles que nous avions acquises, par nos bonnes oeuvres, rentrés au nous-mêmes et sincèrement revenus à Dieu, nous avons, à notre tour, complètement dépouillé et détroussé la vaine gloire. C’est ainsi que j’en ai vu plusieurs qui, n’ayant commencé les exercices de la vie religieuse que par un mouvement de vanité, mais ayant renoncé sincèrement à ce mauvais principe, et changé d’inclination et, de volonté, ont rendu la fin de leur vie aussi bonne et sainte, que les commencements en avaient été mauvais et répréhensibles.
31. Il n’acquerra et ne possédera jamais les biens surnaturels et célestes, celui qui ne se glorifie que dans les biens naturels, tels que la vivacité, la souplesse et la facilité de son esprit, une heureuse et agréable prononciation, un caractère excellent, et autres belles qualités qui sont nées avec lui, sans qu’il se les soit procurées par aucun travail ni par aucune industrie; car « celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les plus grandes. » (Lc 16,10)
32. Mais ce qui doit surtout nous frapper d’étonnement, c’est qu’on rencontre de ces orgueilleux qui vont jusqu’à croire qu’en mortifiant leur chair par des jeûnes et des austérités extraordinaires, ils viendront à bout de se procurer le calme parfait de l’âme, un trésor de dons célestes, la vertu de faire des miracles, et la faveur singulière de connaître les choses futures; mais, les insensés ! ne savent-ils pas ? peuvent-ils ignorer que tout cela n’est pas précisément dû aux travaux ni aux sueurs, mais que c’est le fruit et la récompense d’une profonde humilité.
33. ll s’appuie donc sur un fondement bien caduc et bien mauvais, celui qui pour obtenir des dons et des faveurs, compte sur les efforts qu’il fait, et sur les travaux qu’il supporte. Celui, au contraire, qui ne se considère par rapport à Dieu que comme un débiteur insolvable se trouvera tout-à-coup, et contre son attente,enrichi des dons du ciel les plus rares et les plus précieux. 34. Prenez donc bien garde d’ajouter foi aux insinuations perfides du démon; car c’est un trompeur rusé, et un insigne enchanteur. Il ne remarquera pas de vous persuader que vous devez faire connaître aux autres les excellentes qualités et les bonnes dispositions de votre coeur pour la vertu, et de les publier, afin de les édifier et de procurer par ce moyen le salut à plusieurs. Dans cette tentation si délicate, ne perdez pas de vue ces paroles de l’évangile : « Que servira-t-il à un homme d’avoir gagé l’univers entier, s’il vient lui-même à perdre son âme ? » (Mt 16,26) Rien ne porte davantage et plus efficacement à la piété que l’humilité et la simplicité de nos actions; car ces vertus sont elles-mêmes une leçon solide et frappante qui fait assez connaître aux autres combien il est funeste de se laisser emporter par l’orgueil ; et je ne sais pas s’il serait possible de trouver quelqu’autre chose qui fût plus avantageuse et plus salutaire.
35. Un homme des plus éclairés et des plus capables de pénétrer dans l’obscurité de ces mystères, m’a confié ce qu’il avait observé lui-même : « Un jour, me dit-il, que j’étais au milieu de mes frères, deux affreux démons, l’un, de la vaine gloire, et l’autre, de l’orgueil, vinrent se placer à mes côtés. Le premier me toucha de son doigt et m’excita à raconter à ceux qui étaient avec moi, certaines visions extraordinaires que j’avais eues, et certaines actions que j’avais faites dans le désert; mais ayant repoussé vigoureusement ce malin esprit, en lui adressant ces paroles : Que ceux qui veulent m’accabler de maux, soient obligés de retourner en arrière, et soient couverts de confusion. (Ps 39,15). Celui qui s’était placé à ma gauche, me dit de suite à l’oreille : Courage ! courage! quelle belle action vous venez de faire ! Oh! combien vous avez fait preuve de prudence et de courage par la victoire que vous avez remportée sur ma mère, assez osée pour vous attaquer ! Mais je répondis à celui-ci parles paroles qui sont à la suite de celles que j’avais adressées au premier : Que ceux qui disent : courage! courage ! vous avez bien fait ! soient couverts de la confusion qu’ils méritent. » (Ps 39,16) Je me donnai la liberté de demander à ce père, comment il pouvait se faire que l’orgueil tirât son origine de la vaine gloire. Voici la réponse qu’il me fit « Les louanges qu’on nous donne, enflent et élèvent notre âme, et, lorsqu’elle est ainsi élevée, l’orgueil s’empare d’elle, la fait, pour ainsi dire, monter jusqu’au ciel pour la précipiter ensuite dans l’abîme. »
36. Il est une gloire qui vient de Dieu, selon cette parole : « Je glorifierai Moi-même, dit le Seigneur, tous ceux qui me glorifieront » (1 R 2,30); mais il est aussi une autre espèce de gloire qui n’arrive que par les ruses du démon, ainsi que nous l’apprend le saint évangile par cette sentence : « Malheur à vous ! lorsque les hommes vous loueront et parleront avantageusement de et vous » (Lc 6,26); et remarquez que la gloire même qui vient de Dieu, peut se changer en vaine gloire, à cause des mauvaises dispositions du coeur. Or vous pourrez connaître que vraiment c’est Dieu qui vous glorifie, lorsque vous serez bien convaincu que toute gloire peut vous être nuisible, que vous prendrez toutes les précautions raisonnables et prudentes pour ne pas vous l’attirer, et, qu’en quelque lieu que vous soyez, vous aurez soin de cacher vos bonnes Ïuvres et vos vertus.
37. Vous comprendrez que la gloire qu’on vous donne, vient du démon de l’orgueil, quand vous ferez, toutes vos actions dans l’intention et le désir d’être vu et remarqué par les hommes; car cette passion trompeuse et impure nous suggère de paraître ornés de vertus que nous sommes bien loin de pratiquer, de sorte que nous nous figurons faussement que c’est à nous que Jésus-Christ a donné cet avis : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils connaissent les bonnes oeuvres que vous faites. » (Mt 5,16).
38. Dieu permet souvent que ceux qui recherchent avec un ardent désir les honneurs et les louanges, tombent dans quelque ignominie, afin de leur apprendre à renoncer à la vaine gloire.
39. Si nous avons remporté quelques avantages sur cette passion, c’est que nous avons châtié notre langue, et que nous commençons à nous plaire dans les humiliations; mais si nous avons banni de notre esprit toutes les pensées qui pourraient nous exposer aux traits empoisonnés de ce vice, notre victoire sera bien plus complète; enfin, si nous avons assez d’abnégation de nous-mêmes pour faire en présence de tout le monde, et sans éprouver le moindre sentiment de honte et de peine, les choses capables de nous humilier et de nous couvrir de confusion aux yeux des hommes, nous serons parvenus à triompher parfaitement de notre ennemi. Mais ce triomphe parfait est-il possible, vu les combats innombrables et difficiles que nous avons à livrer et à soutenir ?
40. C’est donc pour nous faire marcher vers cette victoire, que nous ne devons rien cacher de ce qui est capable de nous humilier : la crainte même d’offenser la délicatesse de la conscience des autres ne peut pas être un motif suffisant pour nous détourner de cette voie. Au reste nous userons de ce moyen avec sagesse et prudence, et selon la nature et les circonstances des fautes que nous pouvons laisser connaître, ou que nous pouvons tenir cachées; de manière que, lorsque nous les ferons paraître, cette manifestation soit utile et à nous et à nos frères.
41. Lorsque malheureusement, nous est arrivé de courir après la vaine gloire, ou de la recevoir sans l’avoir recherchée, ou que, pour la mériter, nous sommes tentés de faire certaines démarches et certaines choses, rappelons promptement à notre esprit la pensée de la pénitence que nous avons à faire, et dans le secret de notre prière représentons-nous fortement la crainte et la frayeur dont nous serions frappés, si nous étions devant le tribunal redoutable du Seigneur : cette arme nous servira beaucoup pour résister à la tentation. Que la ferveur d’une prière sincère est puissante dans ces circonstances ! Mais si ces grands moyens n’étaient pas suffisants, nous recourrions à la pensée de la mort et de nos autres fins dernières. Enfin si tous ces moyens successivement employés étaient encore impuissants, représentons vivement l’ignominie éternelle et immense qui sera le juste châtiment de la vaine gloire, et traçons sur notre coeur en caractères ineffaçables ces paroles de l’éternelle Vérité : « Il sera humilié, celui qui se sera a élevés » (Lc 14,11 ). Soyons bien convaincus que cette humiliation dont nous sommes menacés, nous punira de notre vanité, non seulement dans la vie future, mais aussi dans la vie présente.
42. Si des personnes se mettent à nous louer, ou plutôt à nous tromper par leurs flatteries, rappelons-nous de suite la multitude de nos péchés, et ce souvenir salutaire nous fera juger indignes de tout ce qu’on dit et de tout ce qu’on fait pour nous glorifier.
43. Il arrive quelquefois, par une bonté toute particulière de Dieu, qu’ayant résolu d’accorder quelques faveurs à des personnes avides de vaine gloire, il les prévient et les leur accorde avant même qu’elles lui en fassent la demande. Or ce tendre et bon Père en agit de la sorte, afin que ne pouvant pas croire qu’elles les ont reçues en vertu de leur prière, elles n’en tirent pas vanité, et n’en deviennent pas plus orgueilleuses.
44. Ceux qui ont plus de simplicité dans l’esprit et dans le coeur, sont bien moins exposés que les autres à ce vice pestilentiel; car la vaine gloire est l’ennemi mortel de la noble simplicité, et la maîtresse de l’hypocrisie.
45. Trop semblable à un ver, elle grossit, prend des ailes et s’élève dans les airs; quand enfin, elle est parvenue à son dernier degré, elle enfante l’orgueil, qui est l’auteur et le consommateur de tous les vices. Il est bien près du salut, celui qui s’est préservé, ou qui est délivré de la vaine gloire, mais il est bien loin de la gloire et de la société des saints, celui qui est encore esclave de cette maudite passion. Celui donc qui est monté sur ce degré en renonçant à tout sentiment de vaine gloire, ne tombera pas dans l’orgueil, vice abominable aux Yeux du Seigneur.

Source : http://www.livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque.htm#1

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