Saint Jean Climaque : L’échelle sainte

DIX-HUITIÈME DEGRÉ
Du sommeil, de la prière, et du chant public des psaumes.
1. Le sommeil est un certain état, une certaine passion de la nature produite par l’engourdissement des sens; c’est l’image de la mort. Le sommeil en lui-même est quelque chose d’unique; mais, ainsi que la cupidité, les causent qui le produisent, sont nombreuses; car, tantôt il vient de la nature même, tantôt du travail que supporte l’estomac, lequel digère difficilement les aliments qu’il a reçus, tantôt de la part des démons; quelquefois des austérités excessives dans le jeûne en sont la cause et le principe : dans ce dernier cas, c’est la nature qui, se sentant affaiblie, cherche à se soulager et à réparer ses forces.
2. En buvant beaucoup et souvent, on contracte facilement la servile habitude de boire; il faut en dire autant de l’habitude de dormir. C’est pourquoi les jeunes commençants doivent se prémunir contre cette passion et cette nécessité corporelles; car, ainsi qu’on ne peut l’ignorer, une habitude invétérée se corrige difficilement.
3. Si nous voulons bien y faire attention, nous remarquerons que, tandis que nos frères s’assemblent au son de la trompette, nos ennemis accourent aussi invisiblement vers nos lits, afin que, lorsque nous serons éveillés, ils nous fassent violence pour nous faire demeurer dans les douceurs du repos : « Demeurez, nous diront-ils intérieurement, attendez que les hymnes qui précèdent la psalmodie des psaumes soient achevés; ce sera bien assez tôt pour aller à l’église. » D’autres fois ils nous assiègent pendant la prière, et nous portent au sommeil. Ici ils excitent en nous de violents besoins pour nous engager à sortir; là ils nous sollicitent à tenir des discours vains et inutiles. Il en est parmi eux dont l’occupation est de fatiguer notre esprit par de mauvaises pensées; d’autres, de nous faire appuyer sur quelque objet, comme, par exemple, le mur, nous persuadant que nous sommes trop faibles ou trop fatigués; d’autres nous accablent de bâillements importuns; quelques-uns nous portent à rire, afin que, dans nos prières mêmes, nous nous attirions la Colère du Seigneur. Nous en trouvons qui nous tentent d’aller bien vite en prononçant les versets, afin qu’ayant plus tôt fait, nous ayons quelque temps à donner à la paresse; et nous en rencontrons d’autres, au contraire, qui veulent que nous aillions lentement, pour nous faire goûter un certain plaisir naturel. Enfin il en est qui se mettent, pour ainsi dire, sur notre langue et sur nos lèvres, pour nous fermer la bouche, ou du moins pour nous empêcher de prononcer facilement les mots qui composent les psaumes.
4. Celui qui, pendant la prière, pensera sérieusement qu’il est en la présence de Dieu, sera comme une colonne immobile, et ne se laissera pas surprendre par ces différentes tentations. Au reste, le lutteur sincère et obéissant, lorsqu’il s’agit de prier, se trouve éclairé d’une lumière, divine et rempli d’une joie céleste; car ce bon moine, semblable à un vaillant soldat, s’est préparé à la prière depuis longtemps, par un fidèle accomplissement de ses devoirs et par une exacte obéissance.
5. Si tous peuvent vaquer à la prière publique, il faut avouer néanmoins qu’il en est à qui il serait plus utile de ne prier qu’avec un autre qui leur serait uni par le même esprit et par les mêmes inclinations. La prière solitaire ne convient qu’à un très petit nombre.
6. En psalmodiant avec plusieurs, il ne vous sera guère facile de vous livrer à la méditation, sans avoir des distractions nombreuses; alors pour enchaîner et pour appliquer votre esprit, pesez et méditez les paroles sacrées qu’on récite, afin que cette méditation soit pour vous comme une prière, pendant que la partie du choeur à laquelle vous n’appartenez pas, prononce son verset.
7. Il ne convint à personne que pendant la prière on s’occupe à quelque autre chose, soit que cette chose soit nécessaire, soit qu’elle ne le soit pas. Saint Antoine nous assure qu’un ange a fortement recommandé d’éviter ce défaut.
8. Le feu éprouve l’or; mais la prière éprouve l’amour et l’attachement que les moines ont pour Dieu. Celui qui se plaît au saint exercice de la prière, s’unit heureusement à Dieu, et met en fuite les démons.

Source : http://www.livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque.htm#1

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