Saint Jean Climaque : L’échelle sainte

SEIZIEME DEGRE
De l’Avarice et de la Pauvreté
1. La plupart des auteurs recommandables par leur science, après avoir parlé, ainsi que nous venons de le faire, de la chair comme d’un tyran furieux, nous entretiennent de l’avarice, qui est un démon monstrueux et rempli de têtes. C’est donc pour ne pas troubler l’ordre qu’ont suivi ces hommes pleins de sagesse, que nous suivrons la règle qu’ils nous ont tracée. Nous dirons donc, mais en peu de mots, ce qui regarde cette cruelle passion, et nous traiterons de même des remèdes capables de nous en guérir ou de nous en préserver.
2. L’avarice est une véritable idolâtrie; c’est la fille de l’incrédulité. Pour contenter son avidité, elle se sert du prétexte spécieux des maladies et des besoins du corps; c’est pour cela qu’elle ne cesse de menacer la vieillesse de mille nécessités différentes, qu’elle annonce et fait craindre des sécheresses et qu’elle prédit des famines.
3. Un avare blâme et viole les préceptes de l’Évangile. Celui qui est possédé de l’amour de Dieu, n’est pas dévoré par le désir passionné des richesses, mais s’en sert pour faire d’abondantes aumônes. Il se trompe et veut tromper les autres, celui qui ose dire qu’il aime Dieu et les biens de la terre; car il n’aime pas Dieu. Il est dans la même erreur, celui qui prétend posséder Dieu et l’argent : il ne possède ni l’un ni l’autre.
4. Celui qui pleure ses péchés, a même renoncé à son propre corps et ne l’épargne pas, lorsqu’il croit qu’il lui est nécessaire de le faire.
5. Ne dis pas que vous n’aimez et que vous ne recherchez les richesses qu’afin de pouvoir secourir les indigents. Rappelez-vous qu’une pauvre veuve avec deux petites pièces de monnaie a conquis le royaume des cieux.
6. Deux hommes se rencontrèrent un jour; c’étaient un avare et un hospitalier. L’avare se mit de suite à faire des reproches à celui qui répandait d’abondantes largesses dans le sein des pauvres; il l’accusa de n’avoir ni sagesse ni discrétion.
7. Mais celui-ci, qui avait généreusement triomphé de la cupidité, ne pouvait-il pas répondre que quiconque a vaincu cette passion, a coupé la racine à toutes les inquiétudes de la vie, et que celui qui en est esclave, ne peut jamais présenter à Dieu des mains pures et innocentes, ni Lui offrir le parfum odoriférant de la prière ?
8. L’avarice commence dans un prétexte de lÕaumône; mais a-t-on ramassées, s’est-on fait un trésor d’or et d’argent, la cupidité fait détester les pauvres. Voyez combien sont grandes et vives la sensibilité et la compassion pour les indigents dans le coeur d’un avare, tandis qu’il travaille à devenir riche; mais voyez aussi combien il est devenu dur et insensible à leur égard, depuis qu’il est dans l’abondance.
9. J’ai vu des pauvres des biens de la fortune, mais qui étaient très riches des biens de la grâce, oublier entièrement leur pauvreté temporelle en vivant au milieu des personnes qui étaient elles-mêmes pauvres, mais seulement par affection et par volonté.
10. Le moine qui a le malheur d’aimer l’argent, n’est jamais oisif; car sa passion lui rappelle sans cesse ces paroles dont il abuse : Celui qui ne veut pas travailler, ne doit pas manger (2 Th 3,10); et ces autres paroles : Mes mains ont suffi pour me procurer et à ceux qui vivent avec moi, les choses qui nous étaient nécessaires. (Ac 20,34).
11. La pauvreté religieuse est un désaveu formel de tous les soins de la vie et un affranchissement de toutes les inquiétudes temporelles; c’est une voyageuse débarrassée de tout embarras, une observatrice scrupuleuse des préceptes du Seigneur; c’est une heureuse délivrance de toute sorte de chagrins et de peines.
12. Le moine pauvre, est maître de l’univers entier, parce qu’il place tous ses soins et toutes ses inquiétudes dans le sein de la Providence, et que par la confiance ferme et entière qu’il a dans le Seigneur, il rend tous les hommes ses sujets et ses serviteurs. Ce ne sera donc point aux hommes qu’il s’adressera dans ses nécessités et dans ses besoins, et les secours qu’il en recevra, il pensera ne les tenir que de la main du Seigneur.
13. Il est l’heureux enfant de la paix et de la tranquillité du coeur; car il est libre de toute affection déréglée. Dans sa retraite il ne donne pas une plus grande attention aux choses présentes qu’à celles qui sont absentes, à celles qui sont, qu’à celles qui n’existent pas, et tout dans ce monde lui parait être boue et fumier. Celui qui s’attriste et s’afflige en se voyant dans quelque besoin, n’est pas pauvre de cette pauvreté qui, seule, est la véritable.
14. Le vrai pauvre offre sans cesse à Dieu des prières pures et sincères, et l’avare souille les siennes par la pensée et le désir des biens temporels qu’il regarde comme des idoles.
15. Ceux qui ont le bonheur de vivre dans un monastère, doivent être exempts de toute cupidité; car comment oseraient-ils posséder quelque chose en propre, puisque, par lÕobéissance dont ils ont fait profession, leurs corps mêmes ne sont pas en leur disposition ? Le seul préjudice que pourrait leur porter cette pauvreté si parfaite, serait de les rendre trop propres à changer de lieu et de demeure sans la moindre difficulté; car j’en ai vu que les choses qu’ils possédaient dans un endroit, les y fixaient et les y attachaient.
16. Ils sont bien plus avancés dans les voies de la perfection, ceux qui, pour l’amour de Dieu sont pèlerins, que ceux qui n’y demeurent que par affection pour certaines choses qu’ils y possèdent.
17. LorsquÕon a le bonheur de savourer les douceurs et les délices que procurent les biens du ciel, on se dégoûte bien vite et bien facilement des fausses douceurs des biens de la terre; mais, hélas! par un principe contraire, on donne promptement les affections de son coeur aux richesses temporelles, on les possède avec bien du plaisir, quand on n’a jamais goûté les saintes voluptés des richesses spirituelles.
18. Celui qui est pauvre malgré lui est doublement malheureux; car il ne jouit pas des biens de la vie présente, et par le mauvais usage qu’il fait de sa pauvreté, il se prive des biens de la vie future.
19. Prenons bien garde, ô nous tous qui avons fait profession de la vie religieuse, de devenir inférieurs aux oiseaux, ces animaux ne pensent pas au lendemain et ne ramassent rien pour le temps qui doit, venir. (cf. Mt 6,26).
20. Qu’il est grand aux yeux du Seigneur, celui qui , pour son amour, renonce généreusement à tout ce qu’il possède ! et qu’il est dans de saintes dispositions, celui qui se dépouille même de sa propre volonté ! L’un, pour prix de sa générosité, recevra le centuple, soit en ce monde par des biens temporels, soit dans l’autre par des dons et des grâces célestes; et l’autre possédera la vie éternelle.
21. Les vagues et les tempêtes ne cessent d’agiter et de tourmenter la mer, et la tristesse et la colère troublent et harcèlent l’avare sans aucune interruption.
22. Celui qui n’a que du mépris et de l’indifférence pour les biens de la terre, n’est point exposé aux procès, ni aux chagrins qu’ils entraînent après eux; tandis que celui qui est esclave de la cupidité, plaidera toute sa vie pour une misérable aiguille.
23. Une foi inébranlable préserve de toute sorte d’inquiétudes; la pensée de la mort porte à renoncer à son propre corps.
24. Job sur son fumier ne donna aucune marque ni aucun signe qu’il fut possédé par quelque affection de cupidité, aussi réduit à la dernière extrémité, conserva-t-il son âme dans une paix et une tranquillité parfaites.
25. Oh! que c’est avec raison qu’on dit que l’avarice est la racine de toute sorte de maux. Car c’est cette maudite passion qui engendre les haines, les larcins, les jalousies les scissions, les inimitiés, les haines, les disputes, les ressentiments, les actes de cruauté et de barbarie, et même les meurtres.
26. Or comme une petite étincelle est dans le cas de produire l’immense embrasement d’une forêt; de même une vertu, petite en apparence, est capable de faire disparaître tous les crimes dont nous venons de parler; et cette petite vertu, c’est la pauvreté , laquelle supprime et éteint tous les mauvais penchants de la cupidité. Ce qui produit en nous cette intéressante vertu, c’est d’abord l’habitude de penser à Dieu, ensuite le plaisir que nous éprouvons de marcher en sa Présence, enfin le souvenir du compte redoutable que nous aurons à Lui rendre.
27. Tous ceux qui ont lu avec attention ce que nous avons dit au quatorzième degré, de la gourmandise, mère de tous les maux imaginables, auront sans doute observé que cette infâme passion en rendant compte elle-même de la généalogie et du nombre de ses enfants, a mis au second rang l’insensibilité, qui rend le coeur aussi dur qu’un rocher. Si donc nous n’avons pas encore parlé de ce vice, c’est que l’avarice , qui est un dragon furieux et un culte idolâtrique de l’argent, nous a forcés à nous occuper d’elle. Je ne sais pas pourquoi nos pères ont placé l’avarice à la troisième place parmi les péchés capitaux. Je parlerai donc maintenant de l’insensibilité, qui tient le troisième rang dans la chaîne des péchés, mais qui est au second dans la généalogie que l’intempérance nous a faite de ses enfants. Après quoi, puisque nous avons dit quelque chose de l’avarice, nous passerons au sommeil, aux veilles, enfin à la crainte puérile : ces espèces de maladies spirituelles, attaquent surtout les novices. Nous terminerons ce degré, en disant que celui qui remporte cette seizième victoire, possède l’amour, s’est délivré des soins de la vie présente, a mérité une grande récompense dans le ciel, et marche sans aucun embarras temporel vers la céleste patrie.

Source : http://www.livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque.htm#1

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