Lettre d’Ignace d’Antioche à Polycarpe

Ignace d’Antioche (en grec ancien : Ἰγνάτιος Ἀντιοχείας / Ignátios Antiokheías) ou Ignace le Théophore (en grec ancien : Ἰγνάτιος ὁ Θεοφόρος / Ignátios ho Theophóros), né vers 35 dans la province de Syrie et mort à Rome en martyr, probablement en 107 ou 113, fut le troisième évêque d’Antioche, après saint Pierre et Évode, à qui il succéda vers 68. Probablement disciple direct des apôtres Pierre et Jean, il est surtout connu pour ses lettres apostoliques, associant le martyre pour la Foi aux grains de blé moulus pour devenir le pain de l’Eucharistie. Ses lettres apostoliques développant une première théologie eucharistique le font ranger parmi les Pères apostoliques, et la deuxième génération des Pères de l’Église. Ses écrits nous font savoir qu’il fut arrêté comme chrétien et conduit sous escorte à Rome où il s’attendait à être jeté aux bêtes (damnatio ad bestias), mais on ignore les circonstances de sa mort.

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Ignace, dit aussi Théophore, à Polycarpe, évêque (surveillant) de l’Église de Smyrne, ou plutôt surveillé lui-même par Dieu le Père et le Seigneur Jésus-Christ, toute sorte de joies.

I, 1. Accueillant avec joie les sentiments que tu as pour Dieu, fondés comme sur un roc inébranlable, je glorifie à l’extrême le Seigneur de m’avoir jugé digne de contempler ton visage irréprochable : puissé-je en jouir en Dieu. 2. Je t’exhorte, par la grâce dont tu es revêtu, à presser ta course et à exhorter tous les frères pour qu’ils soient sauvés. Justifie ta dignité épiscopale par une entière sollicitude de chair et d’esprit; préoccupe-toi de l’union, au-dessus de laquelle il n’y a rien de meilleur. Porte avec patience tous les frères comme le Seigneur te porte toi-même ; supporte-les tous avec charité, comme tu le fais d’ailleurs. 3. Vaque sans cesse à la prière ; demande une sagesse plus grande que celle que tu as ; veille avec un esprit qui ne se repose pas. Parle à chacun en particulier, te conformant aux moeurs de Dieu.

II, 1. Si tu aimes les bons disciples, tu n’as pas de mérite. Ce sont surtout les plus contaminés qu’il te faut soumettre par la douceur. Toute blessure ne se soigne pas par le même emplâtre. Calme les crises violentes par les compresses humides. 2.  » Sois  » en toutes choses  » prudent comme le serpent et simple  » toujours  » comme la colombe  » (Mt 10, 16). Tu es charnel et spirituel pour traiter avec douceur ce qui apparaît à tes yeux ; quant aux choses invisibles, demande qu’elles te soient manifestées pour que tu ne manques de rien et que tu abondes en tout bien spirituel. 3. Le moment présent te réclame, comme le pilote attend les vents, et comme l’homme battu par la tempête attend le port, pour obtenir Dieu. Sois sobre, comme un athlète de Dieu : le prix, c’est l’incorruptibilité et la vie éternelle, dont toi aussi tu es convaincu. En tout, je suis pour toi une rançon, et ces liens que tu as aimés.

III, 1. Que ceux qui paraissent dignes de foi et qui enseignent l’erreur (cf. 1 Tm 1, 3 ; 6, 3) ne t’effraient pas. Tiens ferme comme l’enclume sous le marteau. C’est d’un grand athlète de se laisser meurtrir de coups, et de vaincre. C’est à cause de Dieu que nous devons tout supporter, afin que lui-même nous supporte. 2. Sois plus zélé que tu ne l’es ; discerne les temps. Attends celui qui est au-dessus de toute vicissitude, invisible, qui pour nous s’est fait visible ; impalpable, impassible, qui pour nous s’est fait passible, qui pour nous a souffert de toutes manières.

IV, 1. Ne néglige pas les veuves : après le Seigneur, c’est toi qui dois te soucier d’elles. Que rien ne se fasse sans ton avis et toi non plus, ne fais rien sans Dieu : tu ne le fais pas non plus ; sois ferme. 2. Que les assemblées soient plus fréquentes ; invite tous les frères par leur nom. 3. Ne méprise pas les esclaves, hommes et femmes; mais qu’eux non plus ne s’enflent pas d’orgueil, mais que pour la gloire de Dieu, ils servent avec plus de zèle, afin d’obtenir de Dieu une liberté meilleure. Qu’ils ne cherchent pas à se faire libérer aux frais de la communauté, pour ne pas être trouvés esclaves de leurs désirs.

V, 1. Fuis les métiers déshonnêtes, ou plutôt fais une homélie contre eux. Dis à mes soeurs d’aimer le Seigneur, et de se contenter de leurs maris de chair et d’esprit. De même recommande à mes frères  » d’aimer leurs femmes comme le Seigneur a aimé l’Église  » (cf. Ep 5, 25-29). 2. Si quelqu’un peut demeurer dans la chasteté en l’honneur de la chair du Seigneur, qu’il demeure dans l’humilité. S’il s’en glorifie, il est perdu, et s’il se fait connaître à d’autres qu’à l’évêque, il est corrompu. Il convient aussi aux hommes et aux femmes qui se marient, de contracter leur union avec l’avis de l’évêque, afin que leur mariage se fasse selon le Seigneur et non selon la passion. Que tout se fasse pour l’honneur de Dieu.

VI, 1. Attachez-vous à l’évêque, pour que Dieu aussi s’attache à vous. J’offre ma vie pour ceux qui se soumettent à l’évêque, aux prêtres, aux diacres ; et puisse-t-il m’arriver d’avoir avec eux part en Dieu. Peinez ensemble les uns avec les autres, ensemble combattez, luttez, souffrez, dormez, réveillez-vous, comme des intendants de Dieu, comme ses assesseurs, ses serviteurs. 2. Cherchez à plaire à celui sous les ordres de qui vous faites campagne (cf. 2 Tm 2, 4), de qui aussi vous recevez votre solde, qu’on ne trouve parmi vous aucun déserteur. Que votre baptême demeure comme votre bouclier, la foi comme votre casque, la charité comme votre lance, la patience comme votre armure. Vos dépôts, ce sont vos oeuvres, afin que vous receviez comme il convient les sommes auxquelles vous avez droit. Soyez donc patients les uns envers les autres, dans la douceur, comme Dieu l’est pour vous. Puissé-je jouir de vous continuellement.

VII, 1. Puisque l’Église, qui est à Antioche de Syrie, est en paix, comme on me l’a appris, grâce à votre prière, moi aussi j’ai retrouvé plus de confiance, dans l’abandon à Dieu, si toutefois, par mes souffrances, j’obtiens Dieu, pour être trouvé au jour de la résurrection votre disciple. 2. Il convient, bienheureux Polycarpe, de convoquer une assemblée agréable à Dieu, et d’élire quelqu’un qui vous soit très cher et qui soit actif, qui puisse être appelé le courrier de Dieu ; charge-le d’aller en Syrie pour célébrer votre infatigable charité pour la gloire de Dieu. 3. Le chrétien n’a pas pouvoir sur lui-même, mais il est libre pour le service de Dieu. Cela, c’est l’oeuvre de Dieu, et aussi la vôtre quand vous aurez accompli cela. J’ai foi en la grâce et je crois que vous êtes prêts à faire une bonne action qui convient à Dieu. Connaissant votre zèle sans relâche pour la vérité, je vous ai exhortés par ces quelques mots.

VIII, 1. Puisque je n’ai pu écrire à toutes les Églises à cause de mon départ précipité de Troas pour Néapolis, comme l’ordonne la volonté de Dieu , tu écriras à toutes les Églises d’Orient, toi qui possèdes la pensée de Dieu, pour qu’elles aussi fassent la même chose : ceux qui le pourront enverront des messagers à pied, les autres des lettres par ceux que tu auras envoyés ; ainsi vous serez glorifiés pour une oeuvre éternelle, comme tu en es digne. 2. Je vous salue tous par votre nom, et l’épouse d’Épitropos avec toute sa maison et celle de ses enfants. Je salue Attale mon bien-aimé. Je salue celui qui sera jugé digne de partir pour la Syrie. La grâce sera sans cesse avec lui et avec Polycarpe qui l’envoie. 3. Je souhaite que vous vous portiez toujours bien en notre Dieu Jésus-Christ ; puissiez-vous en lui demeurer toujours dans l’unité et sous la surveillance de Dieu. Je salue Alcé, qui m’est si chère. Portez-vous bien dans le Seigneur.