NEUVIEME DEGRE Du ressentiment. |
1. C’est avec raison que nous pouvons comparer les vertus aux différents degrés de l’échelle de Jacob, et les vices, à la chaîne qui tomba des pieds et des mains de saint Pierre, prince des apôtres. En effet les vertus étant unies les unes aux autres par des anneaux admirables, font monter jusqu’au ciel ceux qui ont le bonheur de les pratiquer; tandis que les vices, se tenant attachés les uns aux autres par des liens diaboliques, conduisent au malheur éternel ceux qui s’y laissent misérablement aller. C’est pourquoi nous pensons que c’est ici le lieu de traiter du souvenir des injures, puisque nous venons d’entendre de la propre bouche de la colère qu’il est un de ses méchants enfants. 2. Or nous disons que le souvenir des injures, en tant qu’il est le comble de la colère, en est aussi comme la queue. C’est lui qui fait vivre les péchés dans une âme, qui y nourrit la haine de la justice, qui donne la mort aux vertus, qui empoisonne le coeur, qui obscurcit l’intelligence, qui couvre de honte ceux qui récitent l’oraison dominicale, qui paralyse la prière, qui détruit la charité, qui transperce sans aucune interruption les coeurs de ses flèches acérées, les remplit d’amertume et y fait régner avec un empire absolu, le péché, le crime et la méchanceté. 3. Or, comme le souvenir des injures tire son origine de quelques autres passions viles et abjectes, et qu’il ne la leur donne pas, ou du moins que c’est rarement, nous n’en dirons que peu de choses. 4. Il a détruit par là-même en lui le souvenir des injures, celui qui a donné la mort à la colère. On sait que, tant que cette violente passion domine dans un coeur, elle y enfante de nouveaux enfants. 5. Voyez donc attentivement avec quel empressement il chasse et bannit la colère de son âme, l’homme qui brûle de charité pour ses frères, et combien de peines et d’inquiétudes fâcheuses et cruelles il se crée, celui qui se livre à cette passion brutale. 6. Sachez aussi qu’un modeste repas de charité dissipe la haine, et que des présents faits dans des intentions pures et sincères apaisent et gagnent les coeurs; mais qu’un festin, dans lequel les lois de la sobriété ne sont pas observées, donne lieu à la licence, et que, sous prétexte de faire un acte de charité, on se livre à des excès dans le boire et dans le manger. 7. J’ai vu que la colère a rompu tout d’un coup une vieille liaison profane et criminelle, et que dégénérée en haine violente, elle a, contre l’attente de tout le monde, suffi par le souvenir des injures reçues, pour faire persévérer cette rupture jusqu’à la fin. Mais ici c’était peut-être l’ouvrage de Dieu plutôt que celui du démon. 8. Le souvenir des injures est toujours infiniment opposé à l’amour; ce que nous ne pouvons pas assurer des affections criminelles : car elles se mêlent facilement avec cette vertu pour salir et corrompre la blancheur et la pureté de cette innocente colombe. 9. Voulez-vous absolument ne pas oublier les injures que vous avez reçues ? J’y consens; mais que ce soient celles que vous avez reçues du démon. Que celui qui veut nourrir dans son coeur de la haine et des inimitiés, le fasse, mais contre son propre corps, qui est son plus dangereux ennemi; car ce misérable corps, sous le beau titre d’ami, n’est qu’un ingrat et un traître : plus on en prend soin, plus il nous fait du mal. 10. C’est un très mauvais interprète des saintes Écritures, que le souvenir des injures. Il ne sait expliquer les oracles sacrés du saint Esprit que selon ses goûts dépravés et son sens corrompu. Que la prière que notre Seigneur nous a enseignée couvre de confusion ceux qui ne se conduisent que par un mauvais docteur. Eh ! Comment pourrait-on la réciter cette admirable prière, avec Jésus Christ et selon ses intentions, si la pensée des injures qu’on a reçues est gravée dans la mémoire ? 11. Avez-vous longtemps et avec une vigueur bien prononcée, lutté contre vous-même pour oublier un outrage, sans avoir pu entièrement en arracher le souvenir de votre coeur, voici le conseil que je crois devoir vous donner : humiliez-vous au moins, en présence de celui qui vous a offensé, par quelques paroles de douceur que vous lui adresserez; vous verrez que peu à peu vous commencerez à rougir de cette longue dissimulation, et que, continuellement agité par les reproches de votre conscience, vous finirez par faire consumer votre inimitié dans les feux de la charité, et par vous réconcilier parfaitement avec votre frère. 12. Or vous reconnaîtrez que votre coeur est délivré de tout sentiment de haine, non pas précisément lorsque vous prierez pour la personne qui vous aurait outragé non pas même lorsque vous lui ferez quelques présents et que vous l’inviterez à votre table, mais lorsqu’apprenant qu’il lui est arrivé quelque accident fâcheux, soit pour son âme, soit pour son corps vous en serez désolé et affligé, autant que si ce malheur vous fût arrivé à vous-même. 13. Un moine qui conserve dans son coeur le souvenir des injures, y garde un nid d’aspics, et porte avec lui-même le poison dans son sein; et ce poison est mortel. 14. Que la pensée et la méditation des injures et des souffrances que Jésus Christ a endurées avec une patience si exemplaire, sont propres, en nous couvrant d’une confusion salutaire, à chasser de notre esprit et de notre coeur le souvenir des outrages que nous avons reçus ! 15. Les vers, comme on le sait, s’engendrent dans le bois; mais peut-on ignorer que la colère devient le partage des coeur qui n’ont qu’une douceur extérieure et apparente ? Quiconque par les efforts qu’il fait, la chasse loin de lui, mérite le pardon de ses péchés; mais celui qui conserve et nourrit cette passion, se rend indigne de toute miséricorde. 16. Nous voyons un grand nombre de personnes entreprendre de grands travaux et se condamner à de rigoureuses privations pour obtenir la rémission de leurs fautes; mais il est bien plus avancé dans l’oeuvre admirable de la justification, celui qui a banni de son coeur toute idée et tout souvenir des injures qu’on lui a faites. C’est ce que nous assure cet oracle de l’éternelle vérité : « Remettez, et l’on vous remettra beaucoup. » (cf. Mt 6,14-15). 17. Oui, je le répète, l’oubli des outrages est une marque assurée d’une pénitence sincère et efficace. Il se trompe grossièrement celui qui, ne voulant pas les oublier, se persuade qu’il est touché et animé d’une véritable douleur de ses péchés. Le malheureux ! Il ressemble à un homme qui, dans son sommeil, rêve qu’il court. 18. J’ai rencontré des personnes, qui, tout en conservant elles-mêmes le souvenir des outrages qu’elles avaient reçus, exhortaient avec beaucoup de zèle d’autres personnes qui étaient dans le même état, à quitter toute idée et à renoncer à tout souvenir des injures qui leur avaient été faîtes. Ces mêmes personnes, frappées et touchées des exhortations qu’elles faisaient aux autres, ont renoncé entièrement au souvenir des outrages qu’elles avaient reçus. 19. Que personne n’aille s’imaginer que la pensée et le souvenir des injures ne sont qu’un petit défaut et une passion pardonnable. Ce sont des maux très funestes, qui pénètrent dans les coeurs les plus pieux et les plus religieux, qui les corrompent et les perdent misérablement. Vous donc, qui montez sur ce degré, demandez avec confiance au Dieu-Sauveur le pardon et la rémission des vos péchés. |
Source : http://www.livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque.htm#1
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