DIXIEME DEGRE De la Médisance. |
1. Il n’est personne parmi ceux qui aiment à réfléchir, qui soit capable de dire que la médisance n’est pas une des filles de la colère et du souvenir des injures, et de ne pas avouer que nous avons raison de dire un mot de ce détestable vice, après avoir parlé des deux premiers. 2. La médisance est donc engendrée par la haine. C’est une passion très subtile; mais néanmoins c’est une sangsue très grosse et très vorace, laquelle se cache adroitement pour trahir et pour sucer tout le bon sang de la charité. Sous le prétexte spécieux et trompeur d’amour et d’affection, la médisance exerce les ravages d’une haine implacable et meurtrière, souille horriblement le coeur, charge énormément la conscience et détruit entièrement la chasteté. 3. Comme il est des filles du sexe qui font le mal sans rougir, et qu’il en est d’autres qui se cachent lorsqu’elles veulent pécher, et qui, pour cette raison même, font des fautes plus graves; telle est aussi la marche ordinaire des passions. Elles couvrent enfin notre âme d’ignominie; car semblables souvent aux jeunes personnes dissimulées, elles font extérieurement comprendre précisément le contraire de ce qu’elles se proposent en effet. Or les passions qui se conduisent de la sorte, sont l’hypocrisie, la malice, la tristesse, le souvenir des injures, le jugement téméraire, les condamnations de la conduite des autres et la médisance. 4. Ayant un jour rencontré des personnes qui médisaient des autres, je me donnai la liberté de les reprendre avec sévérité. Or voici ce qu’elles répondirent à ma correction, et l’excuse que m’alléguèrent ces langues médisantes: » Nous ne parlons de la sorte, me dirent-elles, que par des motifs de la plus ardente charité, et par le désir sincère que nous avons de procurer le salut à ceux dont nous blâmons la conduite. » A cette réponse, je vous avoue que je répartis avec émotion : « Courage, mes amis; avec une charité semblable vous pourrez accuser de mensonge cet oracle du saint Esprit : Je perdrai ceux qui médisent en secret de leur prochain. (Ps 100,5). Malheureux ! Si vous aimez véritablement ces personnes, offrez pour elles à Dieu des prières secrètes et ferventes; mais ne blessez pas leur réputation par des paroles infamantes, car la meilleure manière d’aimer nos frères, c’est de prier Dieu pour eux : c’est là la conduite qui plaît au Seigneur. » 5. Si vous voulez de tout votre coeur vous abstenir de porter un jugement injurieux sur ceux-là mêmes que vous voyez tomber dans quelque faute, faites, je vous prie, attention à cette chose. Judas n’appartenait-il pas au collège sacré des apôtres le larron n’était-il pas du nombre des homicides ? Mais quel étonnant changement dans ces deux hommes ! 6. Quiconque est vraiment résolu de vaincre en lui-même l’esprit de médisance, n’attribuera jamais le péché à l’homme qui l’a commis, mais au démon qui l’a fait commettre; car, quoique nous tombions librement et volontairement dans le péché, personne néanmoins, en péchant, ne se propose pour fin le péché en lui-même, en tant qu’il outrage Dieu. 7. Au reste ne peut-il pas arriver ce que j’ai vu de mes propres yeux ? En effet une personne eut le malheur de faire publiquement une faute, mais elle en fit secrètement une pénitence sévère; or, voyez-vous, tandis que par un mauvais esprit, je croyais cette personne criminelle et coupable, et que je la condamnais, Dieu ne voyait en elle qu’un coeur pur et chaste, puisque par une conversion sincère elle s’était réconciliée avec le Seigneur. 8. C’est pourquoi, si vous vous trouvez dans la compagnie des médisants, gardez-vous de vous laisser dominer par le respect humain, et de craindre de leur imposer silence, en leur disant, par exemple : « Taisez-vous, je vous prie; car, hélas, je fais tous les jours des fautes plus considérables. Pour quelles raisons pourrai-je donc condamner mon frère ? » C’est ainsi que vous obtiendrez deux avantages bien précieux : vous vous préserverez vous-même du péché, et vous procurerez la guérison de votre prochain. Et remarquez ici que la voie la plus courte et la plus sûre pour parvenir à la rémission de nos péchés, consiste à ne jamais juger ni condamner nos frères. C’est ce que nous enseigne Jésus Christ par ces paroles : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé. » (Lc 6,37). 9. L’eau n’est pas plus contraire au feu, que les jugements téméraires ne sont opposés an véritable esprit de pénitence. 10. Quand même au moment de la mort nous verrions une personne faire une faute, nous devrions sévèrement nous abstenir de la juger et de la condamner; car les hommes ignorent absolument quels sont les jugements de Dieu. 11. Il y en a qui, après avoir fait publiquement de grandes fautes, les ont avantageusement réparées par des oeuvres saintes et des vertus parfaites. Or ces impitoyables critiques de la conduite des autres, en condamnant ces personnes, se seraient bien grossièrement trompés : ils auraient pris de la fumée pour le soleil. 12. Vous donc qui censurez avec tant d’aigreur les actions de vos frères, daignez m’écouter et me croire. Ne devez-vous pas trembler ? Car elle est vraie et très vraie cette sentence : Vous serez jugés de la même manière que vous aurez jugé les autres. » (Mt 7,2). Eh ! Ne devons-nous pas craindre que, soit pour le corps, soit pour l’âme, nous ne tombions nous-mêmes dans les mêmes défauts que nous condamnons dans notre prochain ? La chose est sûre ! 13. Tous ceux qui critiquent si facilement et avec tant d’amertume la vie et les défauts des autres, sont ordinairement des gens qui ne se rappellent pas leurs propres imperfections, qui ont perdu de vue le souvenir de leurs péchés, et qui ne prennent aucun soin pour se corriger. En effet les personnes qui, sans amour-propre, considèrent les fautes qui souillent leur conscience, pourront-elles ne pas voir qu’aucun espace de temps, dussent-elles encore vivre cent ans, ne serait suffisant pour pleurer, comme il faut, les péchés qu’elles ont commis, et que ce serait même inutilement qu’elles répandraient autant de larmes qu’il y a de gouttes d’eau dans le Jourdain ? 14. Aussi ai-je remarqué qu’on ne trouve pas le plus petit vestige de médisance dans ceux qui sont vraiment touchés par les sentiments d’un repentir vif et sincère, ni aucune trace de jugement téméraire et de condamnation de leurs frères. 15. C’est aussi pour cela que les démons, ces ennemis irréconciliables de notre salut, s’ils ne peuvent nous faire tomber directement dans le péché, font tous leurs efforts pour nous engager à juger et à condamner ceux qu’ils y ont précipités, afin de nous souiller nous aussi. 16. Mais n’oubliez pas qu’une marque sûre pour reconnaître les vindicatifs et les envieux, c’est la facilité avec laquelle vous voyez qu’ils critiquent malignement la doctrine, la conduite et les actions des autres. C’est un esprit de haine qui les pousse et les fait ainsi parler. Voyez encore jusqu’où peut aller l’aveuglement sur cette matière. 17. J’en ai connu qui, en secret et sans témoin, avaient commis des fautes exécrables; et, le croiriez-vous ? Ils se fiaient tellement à la bonne opinion qu’ils savaient qu’on avait de leur sainteté et de leur innocence , qu’ils insultaient et attaquaient vivement la réputation de ceux qui avaient fait publiquement quelques légères fautes. 18. Se donner la liberté de juger ses frères, c’est s’attribuer, et usurper avec impudence un droit qui n’appartient qu’à Dieu; mais les condamner, c’est se condamner soi-même, c’est se donner la mort. 19. En effet si l’orgueil, sans d’autres vices, est seul capable de nous perdre, ne doit-on pas en dire autant du jugement téméraire ? N’est-ce pas le malheur qui arriva au pharisien dont il est parlé dans l’Évangile (cf. Lc 18,14) ? 20. Or comme un vigneron sage et prudent sait choisir les raisins qui sont mûrs et bons, et rejette ceux qui ne sont pas mûrs et ceux qui sont lambrusques; de même une âme qui a la bonté et la sagesse en partage a bien soin de ne remarquer dans les autres que les vertus et les bonnes oeuvres qu’ils pratiquent. L’insensé, ne fait attention qu’aux vices et aux défauts. C’est de cette âme insensée, qu’il est écrit : Ils ont cherché des crimes, et ils se sont épuisés. (Ps 63,7) 21. Il ne faut pas même juger nos frères sur le rapport de nos propres yeux. En effet, quand même nous les verrions tomber dans le péché, gardons-nous bien de les condamner. Il n’est pas rare qu’on se fasse illusion et qu’on se trompe en ce point si délicat. Celui qui sera victorieusement monté sur ce dixième degré, ne se conduira plus que selon les lois d’une charité sincère et d’une solide pénitence. |
Source : http://www.livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque.htm#1
Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir TIKHON sur Tipeee.