L’icône est une sainte image et non une » image sainte » ou une image pieuse. Elle a son caractère propre, ses canons particuliers et ne se définit pas par l’art du siècle ou d’un génie national, mais par la fidélité à sa destination qui est universelle. Elle est une expression de l’économie divine, résumée dans l’enseignement de l’Église orthodoxe : » Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne dieu. » Telle est l’importance que l’Église attribue à l’icône que la victoire sur l’iconoclasme fut solennellement déclarée Triomphe de l’Orthodoxie, triomphe qui est toujours fêté à la première semaine du Grand Carême.
Pour l’Église orthodoxe l’image, aussi bien que la parole, est un langage exprimant ses dogmes et son enseignement. C’est une théologie inspirée, présentée sous une forme visuelle. Elle est le miroir reflétant la vie spirituelle de l’Église, permettant de juger des luttes dogmatiques de telle ou telle époque. Les époques de la floraison de l’art liturgique correspondent toujours à un essor de la vie spirituelle : ce fut le cas de Byzance, des autres pays orthodoxes et de l’Occident à l’époque romane. À ces moments, la vie liturgique est réalisée pleinement dans son ensemble harmonieux, ainsi que dans chacun de ses domaines particuliers.
Toutefois, l’image ne se borne pas à exprimer la vie dogmatique et spirituelle de l’Église, sa vie intérieure. À travers l’Église, l’image reflète également la civilisation qui l’entoure. Lié par ceux qui le créent au monde d’ici-bas, cet art est aussi un miroir de la vie du peuple, de l’époque, du milieu et même de la vie personnelle de l’artiste. Il est aussi en quelque sorte l’histoire du pays et du peuple. Ainsi, une icône russe, tout en ayant la même iconographie qu’une icône byzantine, diffère de celle-ci par ses types et son caractère national, une icône de Novgorod ne ressemble pas à une icône de Moscou etc… C’est précisément cet aspect extérieur de l’art sacré qui forme l’objet de la grande majorité des études actuelles.
Le contenu liturgique de l’image sacré fut perdu en Occident au XIIIe siècle et dans le monde orthodoxe, suivant les pays, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que les connaisseurs, les savants, les esthètes découvrirent l’icône. Ce qui semblait auparavant une tache sombre, engoncée d’un riche revêtement d’or, apparut soudain en sa miraculeuse beauté. Nos ancêtres iconographes se révélèrent non seulement des peintres de génie, mais des maîtres de la vie spirituelle, ayant su donner des formes à la parole du Seigneur : Mon Royaume n’est pas de ce monde (Jn).
Or, l’incompréhension du contenu de cet art n’est pas due à notre supériorité, ni à une perte de sa force vitale ou de son importance, mais à notre décadence spirituelle profonde. Sans parler des personnes qui sont complètement en dehors de l’Église, nous sommes en présence, même chez les croyants, d’un péché essentiel de notre époque : la sécularisation de notre esprit, la déformation complète de l’idée même de l’Église et de la Liturgie.
On peut dire qu’en général on ne voit plus de la vie spirituelle que son côté moral. Son fond dogmatique, devenu le domaine des » savants théologiens « , est considéré comme une science abstraite et n’a plus aucun rapport avec la réalité de notre vie quotidienne. Quant à la Liturgie, guide infaillible de notre chemin spirituel, profession de notre foi, elle n’est plus pour beaucoup qu’un rite traditionnel ou bien un usage pieux et touchant. L’unité organique du dogme et de la loi morale dans la Liturgie s’est brisée, désagrégée. Cette absence d’unité intérieure détruit la plénitude liturgique de nos services divins. Les éléments qui les composent et dont nous ne saisissons plus le but commun – la parole, le chant, l’image, l’architecture, l’éclairage etc… – s’en vont, chacun dans sa propre voie, à la recherche de son sens et de ses effets particuliers. Ils ne sont plus unis les uns aux autres que par la mode de telle ou telle époque (baroque, classicisme etc…) ou par le goût personnel. Ainsi, l’art de l’Église ne vit plus de la révélation du Saint-Esprit, de la vie dogmatique de l’Église, mais se nourrit de la civilisation de tel ou tel moment historique. Il n’enseigne plus ; il cherche et tâtonne avec le monde.
On entend souvent des voix indignées protester contre les images mièvres et sentimentales » genre Saint-Sulplice « , ou contre les pièces de concert qui viennent remplacer le chant liturgique. Il ne s’agit pas là, comme on l’admet couramment, d’une décadence de notre goût. Le mauvais goût a toujours existé et existera toujours. Le malheur de notre époque c’est que le goût personnel, qu’il soit bon ou mauvais, est généralement admis comme critère dans l’Église, alors que le critère objectif est perdu.
Source : http://www.pagesorthodoxes.net/
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