L’Épître à Diognète est une lettre d’un auteur chrétien anonyme qui date de la fin du iie siècle. Il s’agit d’un écrit apologétique adressé à Diognète pour démontrer la nouveauté radicale du christianisme sur le paganisme et le judaïsme1.
I. Je vois, Excellent Diognète, le zèle qui te pousse à t’instruire sur la religion des Chrétiens, la clarté et la précision des questions que tu poses à leur sujet : à quel Dieu s’adresse leur foi ? Quel culte lui rendent-ils ? D’où vient leur dédain unanime du monde et leur mépris de la mort ? Pourquoi ne font-ils aucun cas des dieux reconnus par les Grecs et n’observent-ils pas les superstitions judaïques ? Quel est ce grand amour qu’ils ont les uns pour les autres ? Enfin pourquoi ce peuple nouveau – ce nouveau mode de vie – n’est-il venu à l’existence que de nos jours et non plus tôt ? 2. Je te félicite de cette ardeur et je prie Dieu, de qui nous vient le don et de parler et d’entendre, qu’il m’accorde le langage le plus propre à te rendre meilleur, toi qui m’écoutes, et qu’il te donne de m’écouter de manière à ne pas être un sujet de tristesse pour moi qui te parle. II. Quand donc tu auras purifié ton esprit de tous les préjugés qui l’assiègent, quand tu te seras dépouillé des habitudes trompeuses, quand tu seras devenu un homme nouveau semblable à celui qui vient de naître – puisque c’est un langage nouveau, tu en conviens toi-même, que tu t’apprêtes à entendre -, considère non seulement avec les yeux, mais aussi par la raison, quelle est la substance ou la forme de ceux que vous appelez et reconnaissez dieux. 2. L’un n’est-il pas une pierre semblable à celle qu’on foule aux pieds ? L’autre du bronze, sans plus de valeur que les ustensiles fondus pour notre usage ? Cet autre du bois, et déjà pourri, ou de l’argent – il a besoin d’un homme posté à sa garde de crainte des voleurs -, ou du fer rongé par la rouille, ou de la terre cuite, sans plus d’apprêt que celle dont on se sert pour le plus vil usage ? 3. Tous ne sont-ils pas faits de matière corruptible ? Façonnés par le fer et par le feu ? N’est-ce pas un sculpteur qui a fait celui-ci ? Un fondeur celui-là ? Un orfèvre ? Un potier ? Avant d’avoir été façonnés en forme de dieux par ces techniques, est-ce que chacun de ces matériaux n’avait pas déjà changé de forme sous la main de son artisan et ne le peut-il pas encore maintenant ? Les ustensiles actuels, faits de la même matière qu’eux, ne pourraient-ils pas devenir eux aussi des dieux, s’ils rencontraient le même artisan ? 4. Inversement, ces dieux que vous adorez en ce moment ne pourraient-ils pas être transformés par la main des hommes en ustensiles pareils aux autres ? Ne sont-ils pas tous sourds, aveugles, inanimés, insensibles, incapables dé se mouvoir ? Ne sont-ils pas tous sujets à la corruption, à la pourriture ? 5. Voilà ce que vous appelez des dieux, ce que vous adorez et à quoi vous finissez par devenir semblables ! 6. C’est pour cela que vous haïssez les Chrétiens : parce qu’ils ne les considèrent pas comme des dieux. 7. Pourtant, vous qui les croyez et estimez tels, ne les méprisez-vous pas bien davantage que ne le font les Chrétiens ? Bien plus qu’eux vous les raillez, les outragez les idoles de pierre ou d’argile, vous les adorez sans leur donner de gardes ; celles d’argent et d’or, vous les tenez sous clef pendant la nuit et le jour, vous postez des gardiens à côté d’elles de peur qu’on ne les dérobe ! 8. Et les honneurs que vous croyez leur rendre sont plutôt pour ces dieux un désagrément, s’ils sont doués de sentiment ; qu’ils ne sentent rien, vous le faites bien voir par le sang et la graisse fumante de vos sacrifices ! 9. Qui de vous endurerait, qui tolérerait qu’on lui rende de tels honneurs ? Il n’y aura personne pour supporter de bon gré un tel désagrément, car l’homme est doué de sentiment et de raison. La pierre, elle, le supporte car elle ne sent rien : vous faites donc bien voir qu’elle est insensible. 10. Sur le refus des Chrétiens d’adorer de tels dieux, j’aurais encore beaucoup à dire, mais si ce qui précède ne paraît pas suffisant, je juge inutile d’en dire davantage. III. J’en viens à ce qui distingue le culte chrétien de celui des juifs : c’est, je crois, ce que tu désires surtout apprendre. 2. Quand les juifs s’abstiennent de l’idolâtrie dont je viens de parler, ils ont certes bien raison de croire en un Dieu unique et de le vénérer comme maître de l’univers. Mais, quand suivant l’exemple des païens dont je viens de parler, ils lui rendent le même genre de culte, ils sont dans l’erreur. 3. En faisant de telles offrandes à des idoles insensibles et sourdes, les Grecs manquent de bon sens ; les juifs, qui les présentent à Dieu en s’imaginant qu’il en a besoin, devraient bien plutôt penser que c’est là extravagance et non piété. 4. Car » celui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment « , qui nous donne gracieusement à tous ce dont nous avons besoin, ne saurait lui-même avoir besoin de ces biens qu’il accorde lui-même à ceux qui s’imaginent les lui donner. 5. A coup sûr, ceux qui s’imaginent lui rendre un culte par le sang, la graisse fumante et les holocaustes et l’honorer par de telles cérémonies, ne me paraissent en rien différer de ceux qui déploient la même libéralité à l’égard d’idoles sourdes qui ne peuvent prendre part à ces honneurs. S’imaginer faire des présents à Celui qui n’a besoin de rien ! IV. Quant à leur crainte scrupuleuse concernant la nourriture, leur superstition au sujet du sabbat, l’orgueil qu’ils tirent de la circoncision, la fausse humilité de leur jeûne et des néoménies, choses ridicules et indignes de mention, je suppose que tu n’as pas besoin que je t’en intruise. 2. En effet, parmi les créatures que Dieu a faites pour l’usage des hommes, accueillir les unes comme réussies, rejeter les autres comme inutiles et superflues, comment cela peut-il être permis ? 3. Accuser Dieu de défendre d’accomplir une bonne action, n’est-ce pas impie ? 4. Tirer vanité d’une mutilation charnelle comme d’un signe d’élection, comme si cela les faisait tout particulièrement aimer de Dieu, n’est-ce pas ridicule ? 5. Quant à surveiller le cours des astres et de la lune pour régler l’observance des mois et des jours, quant à distribuer selon leurs propres désirs les plans divins et les vicissitudes des temps en jours de fêtes et jours de pénitence, est-ce faire preuve de piété ? N’est-ce pas bien plutôt de la sottise ? 6. C’est donc bien avec raison que les Chrétiens s’abstiennent de la légèreté et de l’erreur générales » comme du ritualisme indiscret et de l’orgueil des juifs. je suppose t’en avoir assez appris là-dessus. Mais ce qu’est leur religion à eux, c’est un mystère : n’espère pas pouvoir jamais l’apprendre d’un homme. V. Car les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. 2. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. 3. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine. 4. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. 5. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. 6. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. 7. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. 8. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. 9. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. 10. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. 11. Ils aiment tous les hommes et tous les persécutent. 12. On les méconnaît, on les condamne ; on les tue et par là ils gagnent la vie. 13. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils manquent de tout et ils surabondent en toutes choses. 14. On les méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On les calomnie et ils sont justifiés. 15. On les insulte et ils bénissent. On les outrage et ils honorent. 16. Ne faisant que le bien, ils sont châtiés comme des scélérats. Châtiés, ils sont dans la joie comme s’ils naissaient à la vie. 17. Les juifs leur font la guerre comme à des étrangers ; ils sont persécutés par les Grecs et ceux qui les détestent ne sauraient dire la cause de leur haine. VI. En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les Chrétiens le sont dans le monde. 2. L’âme est répandue dans tous les membres du corps comme les Chrétiens dans les cités du monde. 3. L’âme habite dans le corps et pourtant elle n’est pas du corps, comme les Chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde. 4. Invisible, l’âme est retenue prisonnière dans un corps visible : ainsi les Chrétiens, on voit bien qu’ils sont dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible. 5. La chair déteste l’âme et lui fait la guerre, sans en avoir reçu de tort, parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs : de même le monde déteste les Chrétiens qui ne lui font aucun tort, parce qu’ils s’opposent à ses plaisirs. 6. L’âme aime cette chair qui la déteste, et ses membres, comme les Chrétiens aiment ceux qui les détestent. 7. L’âme est enfermée dans le corps : c’est elle pourtant qui maintient le corps ; les Chrétiens sont comme détenus dans la prison du monde : ce sont eux pourtant qui maintiennent le monde. 8. Immortelle, l’âme habite une tente mortelle : ainsi les Chrétiens campent dans le corruptible, en attendant l’incorruptibilité céleste. 9. L’âme devient meilleure en se mortifiant par la faim et la soif : persécutés, les Chrétiens de jour en jour se multiplient toujours plus. 10. Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu’il ne leur est pas permis de déserter. VII. Comme je l’ai dit plus haut, leur tradition n’a pas une origine terrestre, ce qu’ils professent conserver avec tant de soin n’est pas l’invention d’un mortel, ni ce qui est confié à leur foi une dispensation de mystères humains. 2. Mais c’est en vérité le Tout-Puissant lui même, le Créateur de toutes choses, l’invisible, Dieu lui-même qui l’envoyant du haut des cieux, a établi chez les hommes la Vérité, le Verbe saint et incompréhensible et l’a affermi dans leurs coeurs. Non, comme certains pourraient l’imaginer, qu’il ait envoyé aux hommes quelque subordonné, ange ou archonte, un des esprits chargés des affaires terrestres, ou de ceux à qui est confié le gouvernement du ciel, mais bien l’Artisan et l’organisateur de l’univers : c’est par lui que Dieu a créé les cieux, par lui qu’Il a enfermé la mer dans ses limites : c’est lui dont tous les éléments cosmiques observent fidèlement les lois mystérieuses ; lui de qui le soleil a reçu la règle qu’il doit observer dans ses courses journalières ; lui à qui obéit la lune, brillant pendant la nuit ; lui à qui obéissent les astres qui accompagnent la lune dans son cours ; c’est de lui que toutes choses ont reçu disposition, limites et hiérarchie : les cieux et tout ce qui est dans les cieux ; la terre et tout ce qui est sur la terre, la mer et tout ce qui est dans la mer, le feu, l’air, l’abîme, le monde d’en haut, celui d’en bas, les régions intermédiaires : c’est lui que Dieu a envoyé aux hommes. 3. Non certes, comme une intelligence humaine pourrait le penser, pour la tyrannie, la terreur et l’épouvante ; 4. nullement, mais en toute clémence et douceur, comme un roi envoie le roi son fils, Il l’a envoyé comme le dieu qu’il était, il l’a envoyé comme il convenait qu’il le fût pour les hommes – pour les sauver, par la persuasion, non par la violence : il n’y a pas de violence en Dieu. 5. Il l’a envoyé pour nous appeler à lui, non pour nous accuser : il l’a envoyé parce qu’il nous aimait, non pour nous juger. 6. Un jour viendra où il l’enverra pour juger, et qui alors soutiendra son avènement ? …………………………………… 7. Ne vois-tu pas qu’on jette les Chrétiens aux bêtes pour leur faire renier le Seigneur et qu’ils ne se laissent pas vaincre ? 8. Ne vois-tu pas que plus on fait de martyrs, plus les Chrétiens se multiplient par ailleurs ? 9. De tels exploits ne peuvent passer pour l’oeuvre de l’homme : ils sont les effets de la puissance de Dieu, ils sont la preuve manifeste de son avènement. VIII. Car y eut-il jamais, parmi les hommes, quelqu’un qui ait su ce qu’est Dieu, avant qu’il ne fût venu lui-même ? 2. A moins d’accepter les vanités et les sottises de ces beaux parleurs de philosophes ! Les uns ont enseigné que Dieu c’était le feu, – ils appellent dieu ce feu auquel ils sont destinés – Pour d’autres, c’est l’eau ou quelqu’autre des éléments créés par Dieu. 3. Cependant, si l’une de ces doctrines était recevable, chacune des autres créatures pourrait au même titre être proclamée Dieu. 4. Mais tout cela n’est que fable et mensonge de ces charlatans. 5. Nul d’entre les hommes ne l’a vu ni connu : c’est lui-même qui s’est manifesté. 6. Et il s’est manifesté dans la foi qui seule a reçu le privilège de voir Dieu. 7. Car le Maître et Créateur de l’Univers, Dieu, qui a fait toutes choses et les a disposées avec ordre, s’est montré pour les hommes non seulement plein d’amour mais aussi de patience. 8. Lui a toujours été tel qu’il est et sera : secourable, bon, doux, véridique ; lui seul est bon. 9. Mais, ayant conçu un dessein d’une grandeur ineffable, il ne l’a communiqué qu’à son Enfant. 10. Tant qu’il maintenait dans le mystère et réservait son sage projet, il paraissait nous négliger et ne pas se soucier de nous. 11. Mais quand il eut dévoilé par son Enfant bien-aimé et manifesté ce qu’il avait préparé dès l’origine, il nous offrit tout à la fois : et de participer à ses bienfaits, et de voir, et de comprendre ; qui de nous s’y serait jamais attendu ? IX. Dieu avait donc déjà tout disposé en lui-même avec son Enfant, mais jusqu’à ces derniers temps, il a souffert que nous nous laissions emporter à notre gré par des mouvements désordonnés, séduits par les voluptés et les passions, nullement parce qu’il éprouvait un malin plaisir à nous voir pécher ; seulement il tolérait, non qu’il l’approuvât, ce règne de l’iniquité. Bien au contraire, il préparait le règne actuel de la justice, afin que, ayant bien prouvé, dans cette première phase, que nos propres oeuvres nous rendaient indignes de la vie, nous en devenions maintenant dignes par l’effet de la bonté divine, et que, nous étant montrés incapables d’accéder par nousmêmes au royaume de Dieu, la puissance de Dieu nous en rende maintenant capables. 2. Lorsque notre perversité fut à son comble et qu’il fut devenu pleinement manifeste que la récompense qu’on en pouvait attendre était le supplice et la mort, alors arriva le temps que Dieu avait marqué pour y manifester désormais sa bonté et sa puissance : quelle surabondance de la bonté pour les hommes et de l’amour divins ! Il ne nous a pas haïs, il ne nous a pas repoussés, ni tenu rancune, mais au contraire il a longtemps patienté, il nous a supportés. Nous prenant en pitié, il a assumé lui-même nos propres péchés ; il a livré lui-même son propre Fils en rançon pour nous, livrant le saint pour les criminels, l’innocent pour les méchants, le juste pour les injustes, l’incorruptible pour les corrompus, l’immortel pour les mortels. 3. Quoi d’autre aurait pu couvrir nos péchés, sinon sa justice ? 4. En qui pouvions-nous être justifiés, criminels et impies que nous étions, sinon par le seul Fils de Dieu ? 5. Ô doux échange, opération impénétrable, ô bienfaits inattendus : le crime du grand nombre est enseveli dans la justice d’un seul et la justice d’un seul justifie un grand nombre de criminels. 6. Il a d’abord, au cours du temps passé, convaincu notre nature de son impuissance à obtenir la vie ; maintenant il nous a montré le Sauveur qui a la puissance de sauver même ce qui ne pouvait l’être : par ce double moyen, il a voulu que nous eussions foi en sa bonté et que nous vissions en Lui nourricier, père, ,naître, conseiller, médecin, intelligence, lumière, honneur, gloire, force, vie – sans plus nous inquiéter du vêtement et de la nourriture. X. Si toi aussi tu désires ardemment cette foi et si tu l’embrasses, tu commenceras à connaître le Père. 2. Car Dieu a aimé les hommes : pour eux il a créé le monde ; il leur a soumis tout ce qui est sur la terre ; il leur a donné la raison et l’intelligence ; à eux seuls il a permis d’élever les regards vers le ciel ; il les a formés à son image ; il leur a envoyé son Fils unique ; il leur a promis le royaume des cieux qu’il donnera à ceux qui l’auront aimé. 3. Et quand tu l’auras connu, quelle joie, songes-y, remplira ton coeur ! Combien tu aimeras celui qui t’a ainsi aimé le premier 4. En l’aimant, tu seras un imitateur de sa bonté, et ne t’étonne pas qu’un homme puisse devenir un imitateur de Dieu : il le peut, Dieu le voulant 5. Tyranniser son prochain, vouloir l’emporter sur les plus faibles, être riche, user de violence à l’égard des inférieurs, là n’est pas le bonheur et ce n’est pas ainsi qu’on peut imiter Dieu ; bien au contraire, ces actes sont étrangers à la majesté divine. 6. Mais celui qui prend sur soi le fardeau de son prochain et qui, dans le domaine où il a quelque supériorité, veut en faire bénéficier un autre moins fortuné, celui qui donne libéralement à ceux qui en ont besoin les biens qu’il détient pour les avoir reçus de Dieu, devenant ainsi un dieu pour ceux qui les reçoivent, celui-là est un imitateur de Dieu. 7. Alors, quoique séjournant sur la terre, tu contempleras Dieu régnant dans la cité céleste, tu commenceras à parler des mystères de Dieu alors tu aimeras et admireras ceux qui sont torturés parce qu’ils ne veulent pas renier Dieu ; alors tu condamneras l’imposture et l’égarement du monde quand tu connaîtras ce qu’est vraiment vivre, quand tu mépriseras ce qu’ici-bas on appelle la mort, quand tu redouteras la véritable mort, réservée à ceux qui seront condamnés au feu éternel, châtiment définitif de ceux qui lui auront été livrés. 8. Alors tu admireras ceux qui endurent le feu d’ici pour la justice et tu les proclameras bienheureux, quand tu auras appris à connaître cet autre feu . . . . . XI. Je ne dis rien d’étrange, je ne recherche pas le paradoxe, mais docile aux leçons des Apôtres, je me fais le docteur des Nations. je transmets exactement la tradition à ceux qui se font les disciples de la Vérité. 2. Qui, en effet, dûment instruit et engendré par la bienveillance du Verbe, ne s’empresse pas d’apprendre pleinement tout ce que le Verbe a clairement enseigné à ses disciples. Le Verbe, se manifestant, le leur a manifesté, s’exprimant ouvertement, incompris des incrédules, s’expliquant à ses disciples qui reconnus par lui comme ses fidèles reçurent la connaissance des mystères du Père. 3. C’est pour cela que le Verbe a été envoyé : pour qu’il se manifestât au monde, Lui qui, méprisé par son peuple, a été prêché par les apôtres et cru par les nations. 4. Lui qui était dès le commencement, il est apparu comme nouveau et fut trouvé ancien et il renaît toujours jeune dans le coeur des saints. 5. Éternel, il est aujourd’hui reconnu Fils. Par lui l’Église s’enrichit, la grâce, s’épanouissant, se multiplie dans les saints, conférant l’intelligence, dévoilant les mystères, révélant la répartition des temps ; elle se réjouit à cause des fidèles, elle s’offre à ceux qui la recherchent en respectant les règles de la foi et en ne transgressant pas les bornes des Pères. 6. Et voici que la crainte de la Loi est chantée, la grâce des Prophètes reconnue, la foi dans les Évangiles affermie, la tradition des Apôtres conservée et que la grâce de l’Église bondit d’allégresse. 7. Cette grâce, ne la contraste pas, et tu connaîtras les secrets que le Verbe révèle par qui il veut, quand il lui plaît. 8. Tout ce que la volonté du Verbe nous ordonne, nous inspire de vous exposer avec zèle, nous le partageons avec vous, par amour pour la révélation que nous avons reçue. XII. Approchez-vous, prêtez une oreille docile, et vous saurez tout ce que Dieu octroie à ceux qui l’aiment ‘ véritablement. Ils deviennent un jardin de délices. Un arbre chargé de fruits, à la sève vigoureuse, grandit en eux et ils sont ornés des plus riches fruits. 2. Car c’est là le terrain où ont été plantés l’arbre de la science et l’arbre de la vie, mais ce n’est pas l’arbre de la science qui tue, non : c’est la désobéissance qui tue. 3. Car ce n’est pas sans raison qu’il a été écrit que Dieu, au commencement, planta au milieu du jardin l’arbre de la science et l’arbre de la vie, nous montrant dans la science l’accès à la vie. Les premiers hommes, qui ne surent pas bien en user, furent mis à nu par l’imposture du serpent. 4. Car il n’y a pas de vie sans la science, ni de science sûre sans la véritable vie : c’est pourquoi les deux arbres ont été plantés l’un près de l’autre. 5. Ce sens, l’Apôtre l’avait bien vu quand, blâmant la science qui s’exerce sans obéir aux préceptes de vie que donne la Vérité, il dit : » La science enfle, mais l’amour édifie. » 6. Car celui qui croit savoir quelque chose sans la véritable science, celle à qui la vie rend témoignage, celui-là ne sait rien : le Serpent le trompe parce qu’il n’a pas aimé la vie. Mais celui chez qui la science est accompagnée de crainte et qui recherche ardemment la vie, celui-là plante dans l’espérance et peut se promettre des fruits. 7. Que la science s’identifie à ton coeur ; que le Verbe de vérité, reçu en toi, devienne ta vie. 8. Si cet arbre grandit en toi et si tu désires son fruit, tu ne cesseras de récolter ce qu’on souhaite recevoir de Dieu, ce que le serpent ne saurait atteindre ni l’imposture infecter. Ève n’est plus séduite, mais demeurant vierge, proclame sa foi. 9. Le salut se montre, les Apôtres comprennent, la Pâque du Seigneur approche, les temps s’accomplissent, l’ordre cosmique s’établit, le Verbe se plaît à enseigner les saints ; par Lui le Père est glorifié, à lui la gloire dans les siècles des siècles. Amen.
1
Tu veux donc savoir, illustre Diognète, quelle est la religion des chrétiens. Je te vois très préoccupé de ce désir. Tu leur demandes publiquement et avec le plus vif intérêt quel est le Dieu sur lequel ils fondent leur espoir, et quel est le culte qu’ils lui rendent ? Qui donc leur fait ainsi mépriser le monde et la mort, et leur inspire cet éloignement pour les fausses divinités des Grecs et pour les pratiques superstitieuses des Juifs ? D’où leur vient cet amour qu’ils ont les uns pour les autres ? Pourquoi ce nouveau culte, ces nouvelles mœurs n’ont-ils paru que de nos jours ?
J’approuve ton désir, Diognète, et je demande à Dieu, qui seul donne la parole et l’intelligence, de mettre dans ma bouche le langage le plus propre à changer ton cœur, et de te faire la grâce de m’écouter, de manière que celui qui te parle n’ait plus à s’affliger de ton sort.
2
Quand tu seras dégagé de tous les préjugés qui t’assiègent, et libéré du poids des habitudes qui t’égarent et présentent un obstacle à la vérité; enfin quand tu sera devenu un homme nouveau semblable à celui qui vient de naître, puisque de ton aveu la parole que tu vas entendre est nouvelle pour toi, considère des yeux de l’esprit et du corps quelle est la nature et la forme de ceux que tu appelles et que tu crois être des dieux.
L’un n’est-il pas fait d’une pierre semblable à celles que tu foules aux pieds, l’autre d’un cuivre qui n’a pas plus de valeur que celui dont on fait des récipients pour toute sorte d’utilisations ; celui-ci d’un bois qui se pourrit, celui-là d’un argent qui réclame la surveillance de l’homme par peur des voleurs; quelques uns d’un fer rongé par la rouille, plusieurs d’un argile qui n’a rien de plus remarquable que l’argile qui, par sa forme, sert aux emplois les plus bas ? Enfin ne sont-ils pas tous d’une matière corruptible, façonnée à l’aide du fer et du feu, ou par un sculpteur ou par un forgeron ou par un orfèvre ou par un potier ? Aucun de ces dieux avait-il une forme, une figure, avant de les avoir reçues des mains de l’ouvrier ? Tous les vases faits de la même matière ne peuvent-ils pas à l’instant devenir des dieux, s’il se rencontrent des mains habiles qui leur rendent ce service ; comme aussi les dieux que vous adorez ne peuvent-ils pas à leur tour, s’il plaît à l’ouvrier, devenir des vases semblables à ceux dont nous nous servons tous les jours ?
Tous ces dieux ne sont-ils pas sourds, ne sont-ils pas aveugles, inanimés, insensibles, incapables de se mouvoir ? Ne les voit-on pas se pourrir, se corrompre ? Et tels sont les dieux que tu sers, les dieux que tu adores ! Et vous, leurs adorateurs, vous leur devenez entièrement semblables ! Les chrétiens ne vous sont odieux que parce qu’ils refusent de reconnaître de pareilles divinités ; mais vous, qui vous courbez devant elles, ne les traitez-vous pas avec plus de mépris que ne le font les Chrétiens ? Plus que nous vous les raillez, vous les outragez. Celles qui ne sont que d’argile ou de bois, vous vous contentez de les adorer, vous ne leur faites par l’injure de leur donner des gardes ; mais pour les dieux d’argent, vous avez bien soin de les enfermer pendant la nuit, et de les faire surveiller de l’œil pendant le jour, de peur qu’on ne les enlève.
Les honneurs que vous leur rendez sont un vrai supplice pour eux, s’ils sont doués de sentiment ; mais s’ils en sont tout à fait privés, vous le faites trop voir par cette odeur de sang et de graisse qui s’exhale dans les sacrifices que vous leur offrez. Qui de vous la supporterait et se laisserait ainsi suffoquer ? Non, certainement, personne, à moins d’y être condamné, n’endurerait ce supplice, parce tout homme est doué de sentiment et de raison. Mais la pierre le subit, parce qu’elle est insensible. Ainsi donc, vous ne voulez laisser aucun doute sur l’insensibilité de vos dieux et voilà une des raisons qui vous empêchent de ramper en esclaves à leurs pieds !
J’en aurais bien d’autres à te donner, mais si celles-ci ne suffisent pas pour te convaincre, toutes celles que je pourrais ajouter deviendraient inutiles.
3
Je vais maintenant te dire en quoi notre culte diffère de celui des Juifs : c’est encore un point sur lequel tu désires ardemment t’instruire, si je ne me trompe.
Les Juifs, il est vrai, n’adorent pas ces idoles stupides, ils ne reconnaissent qu’un Dieu, ils le regardent comme le maître, l’arbitre de l’univers. Si cependant ils lui rendent un culte semblable à celui dont nous venons de parler, n’est-il pas évident qu’ils sont dans l’erreur ? Car les offrandes que les Grecs font à leurs dieux sourds et insensibles, offrandes folles et absurdes, les juifs les présentent à ce Dieu unique, s’imaginant qu’il en a besoin. N’est-ce pas de leur part une extravagance plutôt qu’un hommage digne de la majesté divine ? Est-il croyable que celui qui a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment ; que celui qui fournit à tous ce dont nous avons besoin [nos besoins], ait besoin lui-même de ce qu’il accorde à ceux qui ont la prétention de lui en faire une sorte d’aumône ? Or, ceux qui par ce sang, cette fumée des victimes et leurs holocaustes pompeux, s’imaginent offrirent à Dieu des sacrifices qui lui soient agréables et qui l’honorent, et venir au secours de celui qui n’a besoin de rien, en quoi voulez-vous que je les distingue de ceux dont la folie rend avec tant de soin de semblables honneurs à des statues insensibles, qui ne comprennent rien à ces honneurs. [donc la lettre a été écrite avant la destruction du temple, puisque après, les sacrifices sanglants ont cessé].
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Te parlerais-je des précautions minutieuses que prennent les Juifs sur le choix des viandes, de leur superstition sur l’observance du sabbat, de leur jactance à cause de leur circoncision, de l’hypocrisie de leurs jeûnes et de leurs cérémonies au retour des nouvelles lunes ; tout cela est si absurde, si peu digne d’être raconté, que tu peux te dispenser de l’apprendre, et je crois pouvoir t’en faire grâce.
Dans cette multitude d’êtres que Dieu a faits pour l’usage de l’homme, admettre les uns comme portant le caractère de la sagesse de leur auteur, rejeter les autres comme inutiles et superflus, n’est-ce pas un crime ?
Se glorifier de la circoncision comme du sceau de l’élection divine, comme d’un signe qui atteste de la part de Dieu une prédilection toute particulière, n’est-ce pas une folie des plus ridicules ? Que dirai-je de cette attention continuelle à suivre le cours de la lune et des astres pour observer les jours et les mois, arranger à sa manière les plans de la sagesse divine, les révolutions des saisons, distinguer des jours de joie, des jours de deuil ; est-ce faire preuve de piété et non pas de délire ?
Je t’en ai dit assez, je pense, pour vous montrer que c’est avec raison que les Chrétiens s’éloignent de l’imposture et de la vanité des idoles, de la superstition et de la jactance des Juifs ; mais le sublime mystère de leur culte tout divin, n’espérez pas l’apprendre d’une bouche mortelle.
5
Les Chrétiens ne sont distingués du reste des hommes ni par leurs pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n’ont pas d’autres villes que les vôtres, d’autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes ; seulement ils ne se livrent pas à l’étude de vains systèmes, fruit de la curiosité des hommes, et ne s’attachent pas, comme plusieurs, à défendre des doctrines humaines. Répandus, selon qu’il a plu à la Providence, dans des villes grecques ou barbares, ils se conforment, pour le vêtement, pour la nourriture, pour la manière de vivre, aux usages qu’ils trouvent établis ; mais ils placent sous les yeux de tous l’étonnant spectacle de leur vie toute angélique et à peine croyable.
Ils habitent leur cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère. Comme les autres, ils se marient, comme les autres, ils ont des enfants, seulement ils ne les abandonnent pas. Ils ont tous une même table, mais pas le même lit. Ils vivent dans la chair et non selon la chair. Ils habitent la terre et leur conversations est dans le ciel. Soumis aux lois établies, ils sont par leurs vies, supérieurs à ces lois. Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent. Sans les connaître, on les condamne. Mis à mort, ils naissent à la vie. Pauvres, ils font des riches. Manquant de tout, ils surabondent. L’opprobre dont on les couvre devient pour eux une source de gloire ; la calomnie qui les déchire dévoile leur innocence. La bouche qui les outrage se voit forcée de les bénir, les injures appellent ensuite les éloges. Irréprochables, ils sont punis comme criminels et au milieu des tourments ils sont dans la joie comme des hommes qui vont à la vie. Les Juifs les regardent comme des étrangers et leur font la guerre. Les Grecs les persécutent, mais ces ennemis si acharnés ne pourraient dire la cause de leur haine.
6
Pour tout dire, en un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps : l’âme est répandue dans toutes les parties du corps ; les chrétiens sont dans toutes les parties de la Terre ; l’âme habite le corps sans être du corps, les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. L’âme, invisible par nature, est placée dans un corps visible qui est sa demeure. Vois les chrétiens pendant leur séjour sur la Terre, mais leur culte qui est tout divin, ne tombe pas sous les yeux. La chair, sans avoir reçue aucun outrage de l’esprit, le déteste et lui fait la guerre, parce qu’il est ennemi des voluptés. Ainsi le monde persécute les chrétiens, dont il n’a pas à se plaindre, parce qu’ils fuient les plaisirs. L’âme aime la chair qui la combat et les membres toujours soulevés contre elle. Ainsi les chrétiens n’ont que de l’amour pour ceux qui ne leur montrent que de la haine. L’âme, enfermée dans le corps, le conserve ; les chrétiens enfermés dans ce monde comme dans une prison, empêchent qu’il ne périsse. L’âme immortelle habite un tabernacle périssable ; les chrétiens, qui attendent la vie incorruptible des cieux, habitent comme des étrangers les demeures corruptibles d’ici-bas. L’âme se fortifie par les jeûnes, les chrétiens se multiplient par les persécutions : le poste que Dieu leur a confié est si glorieux, qu’ils regardent comme un crime de l’abandonner.
7
Je l’ai déjà dit et je le répète, la parole qu’ils ont reçue n’est pas une invention de la terre. Elle n’est pas un mensonge des mortels la doctrine qu’ils se font un devoir de conserver avec soin. Enfin le mystère confié à leur foi n’a rien de commun avec ceux de la sagesse humaine.
Dieu lui-même, le tout-puissant, le créateur de toutes choses, a fait descendre du ciel sur la Terre la vérité, c’est à dire son Verbe saint et incompréhensible. Il a voulu que le cœur de l’homme fût à jamais sa demeure. Ce n’est donc pas, comme quelques-uns pourraient le croire, un ministre du Très Haut qui nous a été envoyé, un ange, un archange, un des esprits qui veillent sur la conduite du monde, ou qui président au gouvernement des cieux. Celui qui est venu vers nous est l’auteur, le créateur du monde, par qui Dieu le Père a fait les cieux, a donné des limites à la mer; c’est lui à qui obéissent et le soleil, dont il a tracé la route dans les cieux avec ordre de la parcourir chaque jour sans sortir de la ligne tracée, et la Lune qui doit prêter son flambeau à la nuit, et les astres qui suivent son cours ; enfin c’est lui qui a tout disposé avec ordre et tout circonscrit dans de justes limites ; à qui tout est soumis, les cieux et tout ce qui est dans les cieux, le Terre et tout ce qui est sur la Terre, la mer et tout ce qui est au sein de la mer, le feu, l’air, les abîmes, les hauteurs du ciel, les profondeurs de la Terre, les régions placées entre la terre et les cieux ; voilà celui que Dieu nous a envoyé, non comme un conquérant chargé de semer la terreur et d’exercer partout un tyrannique empire, ainsi que quelques-uns pourraient le croire. Non, il l’a envoyé comme un roi envoie son fils, lui donnant pour cortège la douceur et la clémence ; il a envoyé ce fils comme étant Dieu lui-même ; il l’a envoyé comme à de faibles mortels ; il l’a envoyé en père qui veut les sauver, qui ne réclame que leur soumission, qui ne connaît pas la violence, la violence n’est pas en Dieu ; il l’a envoyé comme un ami qui appelle et non comme un persécuteur ; il l’a envoyé n’écoutant que l’amour ; il l’enverra comme juge et qui soutiendra cet avènement ?
Ne vois-tu pas que l’on jette les chrétiens aux bêtes féroces ? On voudrait en faire des apostats ; vois s’ils se laissent vaincre ! Plus on fait de martyres, plus on fait de chrétiens. Cette force ne vient pas de l’homme ; le doigt de Dieu est là ; tout ici proclame son avènement.
8
qui des hommes savait ce que c’est que Dieu avant qu’il vînt lui-même nous l’apprendre ? Sont-ce tes philosophes ? Assurément, ils sont bien dignes de foi ! Approuves-tu leurs opinions si vaines et si ridicules ? Selon ceux-ci, Dieu, c’est le feu. Ils ont appelé Dieu ce feu qu’ils doivent retrouver après cette vie. Selon ceux-là, c’est l’eau, ou quelque autre des substances que Dieu a créées. Admets tous ces beaux systèmes et il te faudra dire de toute créature qu’elle est Dieu. Mais tout ce langage n’est que mensonge, et mensonge monstrueux, imposture de charlatans. Aucun mortel n’a vu Dieu, aucun mortel n’a donc pu le connaître. Il s’est manifesté lui-même ; il se manifeste encore par la foi ; à la foi seule est donnée le privilège de le voir.
Le maître, le créateur de toutes choses, le Dieu qui a tout fait et tout disposé avec tant d’ordre et de sagesse, est rempli pour les hommes, non seulement d’amour, mais de patience. Il a toujours été ce qu’il est et sera toujours, c’est à dire bon, miséricordieux, plein de douceur, fidèle en ses promesses, seul bon. Il a conçu de toute éternité un dessein aussi grand qu’ineffable, et ne l’a confié qu’à son fils ; tandis qu’il tenait caché sous un voile mystérieux ce conseil de sa sagesse, il semblait négliger les hommes et ne prendre aucun soin de sa créature ; mais quand il eut révélé et mis au grand jour, par son fils bien-aimé, le mystère qu’il avait préparé avant les siècles, alors tout s’est expliqué pour nous, et nous avons pu jouir de ses bienfaits, et voir ce qu’il était. Qui de nous se serait attendu à tant d’amour ? Ainsi donc tout était caché en Dieu, Dieu seul savait tout avec son fils, à la faveur de son infinie sagesse.
9
S’il a permis que l’homme, jusqu’à ces derniers temps, suivît à son gré ses désirs corrompus et se laissât emporter à travers tous les désordres, par les voluptés et par les passions, ce n’est pas qu’il approuvât le crime, seulement il le tolérait ; non, il n’approuvait pas ce règne de l’iniquité ; il préparait, au contraire, dans les cœurs, celui de la justice. Il voulait nous laisser le temps de nous convaincre, par nos propres œuvres, combien nous étions indignes de la vie avant que sa bonté daignât nous l’accorder. Il nous fallait en effet reconnaître que, par nous-mêmes, nous ne pouvions pas parvenir au royaume de Dieu avant que Dieu vînt nous en offrir les moyens.
Lors donc que notre malice fut montée à son comble, qu’il fut démontré que nous n’étions dignes que de châtiment, et que nous n’avions plus que la mort en perspective, arriva le temps que Dieu avait marqué pour signaler tout à la fois sa bonté et sa puissance, et montrer que son immense amour pour l’homme ne laissait aucune place à la haine ; qu’il était loin de nous avoir rejetés ; qu’ils ne se souvenait plus de nos iniquités ; qu’il les avait souffertes et supportées avec patience, alors qu’a-t-il fait ? Il a pris sur lui nos péchés ; il a fait de son propre fils le prix de notre rançon, substituant le saint, le juste, l’innocent, l’incorruptible, l’immortel, à la place de l’homme pécheur, inique, pervers, sujet à la corruption, dévoué à la mort. Qui pouvait couvrir nos crimes, sinon sa sainteté ? Par quel autre que par le fils de Dieu, l’homme injuste pouvait-il être justifié ? O doux échange ! O artifice impénétrable de la sagesse divine ! O bienfait qui surpasse toute attente ! L’iniquité de tous est ensevelie dans la justice d’un seul, et la justice d’un seul fait que tous sont justifiés !
Quand il eut, par les temps écoulés, convaincu notre nature de son impuissance pour s’élever à la vie, il nous a montré le Sauveur, qui seul peut préserver de la mort ce qui périssait sans lui. Par ce double exemple du passé et du présent, il a voulu que nous eussions foi en sa bonté et que désormais l’homme le regardât comme un père qui le nourrit, comme un maître qui le conseille, comme un médecin qui le guérit ; que dirai-je encore ! Comme son intelligence, sa lumière, son honneur, sa gloire, sa force, sa vie, et qu’il cessât de s’inquiéter du vêtement et de la nourriture.
10
Si donc, ô Diognète, tu désires ardemment le don de la foi, tu l’obtiendra. D’abord, tu connaîtras Dieu le père : vois comme il a aimé l’homme ; c’est pour lui qu’il a créé le monde ; il a placé sous sa dépendance tout ce que le monde renferme ; il lui a donné l’intelligence et la raison. C’est à l’homme seul qu’il a permis de regarder le ciel ; il l’a formé à son image ; il lui a envoyé son fils unique ; il lui promet son royaume ; il le donnera à ceux qui lui rendront amour pour amour. O quelle joie sera la tienne quand tu le connaîtras ! Combien tu aimeras celui qui, le premier, t’a tant aimé ? Une fois touché de son amour, tu chercheras à l’imiter, à retracer sa bonté. Quoi ! L’homme pourrait imiter Dieu ! Quel langage ! Cesse de t’étonner, l’homme le peut, puisque Dieu le veut.
Faire peser sur ses semblables le joug de la tyrannie, se croire d’une condition meilleure que ceux qu’on opprime, étaler le faste de l’opulence, écraser le faible, tout cela ne fait pas le bonheur ; aussi n’est-ce pas en cela que l’homme peut imiter son Dieu, car aucun de ces traits ne caractérise la majesté divine ; mais prendre sur soi le fardeau du malheureux, du lieu élevé où le ciel nous a placés, répandre des bienfaits sur ceux qui se trouvent au dessous de nous, regarder les richesses comme des dons que Dieu fait passer par nos mains pour arriver à l’indigent, c’est devenir le Dieu de ceux qu’on soulage, c’est imiter Dieu lui-même. Alors en passant sur la Terre, vous comprendrez qu’il est au ciel un Dieu qui tient les rênes du monde et qui le gouverne comme un empire.
Les Mystères de Dieu se dévoileront à tes yeux, tu en parleras le langage, tu aimeras, tu admireras ces hommes que l’on opprime, parce qu’ils ne veulent pas renoncer à ce Dieu. Tu condamneras l’erreur et l’imposture du monde, lorsque tu auras appris à vivre pour le ciel, et à mépriser ce que l’on nomme la mort. Tu ne redouteras qu’une seule mort, la véritable mort, celle qui est réservée aux pécheurs condamnés à des feux éternels qui seront à jamais leur supplice. Oui, tu admireras ces hommes qui endurent ici-bas les tourments du feu pour la justice, et tu proclameras leur bonheur quand tu connaîtra ce feu éternel auquel ils ont échappé.
11
Ce que je te dis est l’expression véritable de notre foi, c’est le langage même de la raison. Disciple des apôtres, je suis devenu le docteur des nations ; la parole de vérité que j’ai reçue, je la transmets à ceux qui se montrent dignes de la recevoir. Quel homme bien préparé par les premiers éléments de la foi ne s’empresse de s’instruire de toutes les vérités que le Verbe expliquait clairement lui-même aux disciples qui eurent l’avantage de le voir. Il parlait librement, s’inquiétant peu des incrédules qui ne le comprenaient pas ; mais les mêmes choses, il les développait ensuite à ses disciples ; et c’est ainsi que ceux qu’il jugeait fidèles connurent les secrets de son Père. Le Père envoya son Verbe pour qu’il fût connu des hommes ; rejeté par son peuple, il a été prêché par les apôtres et cru des nations. C’est lui qui était dès le commencement, et qui a paru dans les derniers temps, toujours nouveau, parce qu’il naît tous les jours dans le cœur des justes. Il est aujourd’hui ce qu’il a toujours été, le fils de Dieu ; par lui, l’Eglise ne cesse de s’enrichir ; sa grâce se répand, reçoit sans cesse par ses saints de nouveaux accroissements, communiquant partout l’intelligence, dévoilant les mystères, annonçant la fin des temps, heureuse de ceux qui sont fidèles, prompte à se donner à ceux qui cherchent, mais dont la curiosité ne force pas les barrières de la foi, et respecte les bornes qu’ont respectées nos pères.
La loi de crainte est abolie, la loi de grâce annoncée par les prophètes est connue, la foi des saints Evangiles est affermie, la tradition des apôtres conservée, et la grâce qui soutient l’Eglise triomphe. Ah ! Cette grâce qui vous parle, ne l’attriste pas, ô Diognète, et tu connaîtras la vérité que le Verbe communique aux hommes quand il veut et par les organes qu’il lui plait de choisir. Il nous ordonne, il nous presse de parler, sa voix réclame nos travaux, et l’amour nous porte à vous communiquer ce que nous avons reçu.
12
Recueille soigneusement, médite avec attention ces vérités, et tu sauras de quels bien Dieu comble ceux qui l’aiment. Ton âme sera comme un paradis de délices, comme un arbre fécond qui se couvre d’un riche feuillage, qui porte toute sorte de fruits : ces fruits seront ta parure, tu les produira en toi-même.
Dans le paradis terrestre, furent plantés l’arbre de la science et l’arbre de la vie ; car ce n’est pas la science qui fait mourir, mais la désobéissance. Il n’y a pas d’obscurité dans ces paroles de l’Ecriture : « Dieu planta au commencement l’arbre de vie au milieu du paradis terrestre », nous montrant la science comme chemin de la vie. Nos premiers parents en furent dépouillés par l’imposture du serpent pour n’en avoir pas bien usé. Il n’y a pas de vie sans la science, et il n’y a pas de science certaine sans la vraie vie. Aussi ces deux arbres furent-ils placés près l’un de l’autre dans le paradis. L’apôtre l’avait bien compris, et voilà pourquoi, blâmant la science qui veut régler la vie sans la parole de vérité, il dit : « la science enfle, mais la charité édifie ». En effet, celui qui croit savoir quelque chose sans la science véritable à laquelle la vie rend témoignage, celui-là s’abuse, il ne sait rien, le serpent le trompe, il n’aime pas la vie, mais celui qui fait marcher la crainte avec la science et cherche la vie, plante au sein de l’espérance et peut se promettre des fruits. Que cette science soit au fond de ton cœur, que la parole de vérité soit ta vie, tu seras un arbre fertile, tu ne cesseras de produire les fruits que demande le Seigneur, fruits heureux que n’atteint pas le souffle du serpent et que ne peut corrompre son imposture.
Une autre Eve n’a pas participé à la corruption ; vierge, elle a notre foi ; le salut du monde a paru, l’intelligence est donnée aux apôtres, la pâque du Seigneur s’accomplit, le chœur des élus se forme, l’ordre du monde se rétablit, le Verbe enfante des saints et triomphe ; par lui, Dieu le père est glorifié. Gloire lui soit rendue dans tous les siècles.
Traduction de M. de Genoude, éditée à Paris, chez SAPIA, libraire éditeur, rues de Sèvres 16,et du Doyenné 12. Traduction adaptée par JesusMarie.com. Fichier placé sous licence creative commons, Paris, 11 septembre 2010.