L’histoire d’Ouliana Taborovets, femme d’un prêtre de Berestia, est à la fois typique et unique : leur église et leur maison leur ont été arraché, les partisans de « l’église orthodoxe d’Ukraine » de leur village les maudissent, mais la paroisse est unie dans l’amitié.
Il n’y avait pas de visages moroses, au congrès des communautés persécutées, le 22 février à la Laure des Grottes de Kiev. Les fidèles ont partagé leurs problèmes sans pour autant se plaindre. Réunis par un même malheur, ils étaient heureux de se voir, d’échanger, de faire connaissance, de partager, de ne plus se sentir seuls, de sentir que chaque communauté faisait partie de la famille ecclésiale, et l’ambiance était joyeuse.
Ouliana Taborovets, « matouchka », femme du prêtre de Berestia, dans la région de Rovno, se distingue par son énergie, sa sincérité, sa cordialité, par une certaine « authenticité ». Elle ne ressemble en rien à la martyre affligée que les orthodoxes imaginent parfois lorsqu’ils se représentent la femme d’un prêtre subissant les attaques de schismatiques. Elle a défendu son église à neuf mois de grossesse, elle a donné naissance à son sixième enfant au moment où l’église était attaquée. Nous pensions demander à Ouliana de commenter brièvement la situation, mais il est résulté toute une interview de cet échange.
L’attaque de l’église
– Ouliana, l’histoire des communautés qui ont perdu leur église est presque toujours la même. Comment cela s’est-il passé dans votre village ?
– Le schéma est le même qu’ailleurs. On a agité le peuple, on a répandu de fausses informations sur notre Église, alors que cela faisait déjà 15 ans que nous étions dans le village. Disons les choses comme elles sont : ce sont nos paroissiens qui sont restés avec nous, les 150-200 personnes qui viennent à l’église depuis le début et qui continuent à venir. Qui nous a pris notre église ? Ceux qui n’y sont jamais allés de leur vie. Nous avons défendu notre église pendant un mois.
Le 3 mars 2019, toute la communauté a voté dans l’église elle-même, nous avons voté pour rester dans l’Église-mère (l’Église orthodoxe ukrainienne, NDLR). Eux, au même moment, ont tenu une réunion municipale à l’école. Mais il n’y avait aucun orthodoxe à cette réunion. Il y avait des pentecôtistes, des baptistes. Il y avait des gens qui venaient d’autres villages. Ou bien des gens qui sont nés au village, mais qui vivent à Kiev et qui sont venus spécialement pour voter comme habitant du village. Il n’y avait pas de paroissiens de l’église à la réunion de l’école, parce que tous les paroissiens étaient dans l’église.
Ensuite, nous avons défendu l’église pendant un mois, il y a eu quatre attaques. La première fois, ils sont entrés par les portes latérales dans la sacristie. Un homme s’est mis à en faire l’inventaire sur l’autel. Il s’est appuyé sur l’autel pour noter ce qu’il y avait dans le sanctuaire et dans l’église. Ensuite, nous nous sommes relayés pour prier en continu devant d’église. Nous n’avons pas arrêté de prier. Des prêtres venaient, célébraient des acathistes, nous continuions à prier. A l’époque, j’étais à 40 semaines de grossesse, c’était très dur de tenir. Un jour, quand j’étais déjà à la maternité, ils nous ont organisé une « haie de la honte ». Ils voulaient que nos paroissiens et le père passent au milieu d’eux, et ils criaient « la honte ! ». A votre avis, c’est la honte pour qui ? Pour celui qui est venu prier ? Qui doit avoir honte ? C’était très dur. Nous chantions la prière de Jésus, le Credo, et eux « Que l’Ukraine ne meurt pas ». Des cris, des crachats… Le père a reçu des coups plusieurs fois pendant ce mois.
Ils se sont emparés de l’église le 2 avril (2019 – NDLR). La milice était là, elle ne laissait pas nos gens aller à l’église. Ils sont arrivés, ils ont ouvert les portes à la scie circulaire. Ils ont battu des vieillards, traîné des jeunes filles par les cheveux. Ce sont de très mauvais souvenirs. Ils étaient comme fous, vous comprenez. Vous les regardez dans les yeux, et c’est comme s’ils n’avaient pas de regard. Je pense que ceux qui y étaient ont regretté depuis. Dans notre district, ils se sont emparés de 4 églises, toujours à l’initiative de gens de notre village. Nos paroissiens ne pouvaient pas sortir tranquillement, on les insultait. Même encore maintenant, quand ils viennent à la maison de prière, ils se font couvrir de propos orduriers. « Tu vas où ? Chez le pope de Moscou ? » Et des injures, des grossièretés. Ils ont pris l’église, la maison paroissiale et même la chapelle du cimetière. Maintenant, pour enterrer nos morts, il faut d’abord aller chez leur « pope » pour qu’il vienne ouvrir le portillon pour entrer au vieux cimetière. L’office des funérailles a lieu dans la cour ou près de la tombe.
– Où vous réunissez-vous pour prier ?
– Chez nous. Dans la cour de notre maison, il y a une maisonnette que nous voulions faire démolir depuis longtemps. Grâce à Dieu, nous ne l’avions pas encore fait. Nous l’avons transformée en maison de prière, c’est notre petite église dans la cour. En moyenne, 140 personnes assistent aux offices. Nous avons des liturgies nocturnes toutes les semaines, environ 50 personnes y viennent.
La haine au village
Deux ans ont passé, et ce n’est que maintenant que les familles recommencent à se parler, que maintenant ! Jusqu’à encore récemment, même dans les familles on ne se parlait plus. Et on ne peut pas dire que ce soit terminé. La guerre continue, au village. Parce qu’on est divisé entre « eux » et « nous ». D’une part. D’autre part parce que dès que nous commençons à parler d’acheter un terrain pour y construire une église, on ne nous laisse pas faire. On intimide ceux qui veulent nous vendre un terrain : « essayez seulement de le leur vendre, traîtres »… Nous avions déjà acheté un terrain à bâtir, ils nous ont intenté un procès.
Ils ont domicilié quelqu’un sur ce terrain a posteriori, et ils nous font un procès pour ces 6 ares. Et nous voilà à nouveau en procès. Depuis deux ans, nous enchaînons procès sur procès. D’abord à cause de l’église, maintenant à cause du terrain. Nous demandons qu’on nous rende notre enregistrement officiel, nous n’avons plus ni enregistrement (de la communauté – NDLR), ni église. Nous en avons vécu de belles… Non, pas vécu, nous vivons tous ces évènements. Beaucoup de prêtres sont issus de notre village. Certains ont des cathédrales, et nous, nous devons nous contenter de célébrer dans une maisonnette, c’est difficile de vous en donner une idée. Il n’y a que ceux qui l’ont vécu qui peuvent comprendre. Nous sommes venus ici et tous ces événements reviennent à la mémoire : « la honte ! », les cris « dégage, le pope moscovite »…
Ne divisez pas les gens !
– Que demanderiez-vous aux autorités ?
– Je voudrais leur dire : ne divisez pas les gens. Nous sommes tous citoyens ukrainiens. Je suis une citoyenne ukrainienne. Mes enfants sont citoyens ukrainiens. Nous parlons ukrainien à la maison. Nous chantons des chansons ukrainiennes tous les deux jours. Alors pourquoi me traite-t-on de « traître à la solde de Moscou » ? Parce que je n’ai pas renié ma foi ? Suivant la Constitution ukrainienne, nous avons le droit de choisir notre foi. D’après notre conscience. Chacun croit comme il l’entend. Même les satanistes peuvent prier, les musulmans peuvent prier, n’est-ce pas ? Mais nous, « chrétiens orthodoxes du patriarcat de Moscou », comme ils disent, nous n’avons même pas le droit d’enterrer quelqu’un normalement dans son village ! Pourquoi ?!
Il n’y pas longtemps, on enterrait une grand-mère de cent ans. Leur « pope » (de « l’église orthodoxe d’Ukraine » – NDLR) est passé, il a demandé qui on enterrait. Quelqu’un lui a répondu : une moscovite. Mais est-elle jamais allée une seule fois à Moscou pendant ses cent ans ? De quelle moscovite s’agit-il donc ? C’est une Ukrainienne. Elle a donné toute sa vie à l’Ukraine. Je demande aux autorités de ne pas diviser les gens, laissez-nous la possibilité de prier. Regardez, plein d’églises nous ont été prises, mais personne n’a cherché à les reprendre de force, n’est-ce pas ? Nous n’avons qu’une chose à demander au pouvoir : laissez-nous nous enregistrer comme Église orthodoxe ukrainienne, permettez-nous de construire. Le chef du conseil municipal nous a dit : tu te traînerais à genoux pour me demander un terrain que je ne te le donnerais pas. Nous n’avons pas pu conserver notre église, c’est vrai. Mais nous avons conservé nos fidèles. Les fidèles sont tous avec nous. Tous ceux qui étaient avec nous le sont restés.
Le patriarche Bartholomée :
– Que diriez-vous au patriarche Bartholomée ?
– Qu’il devra bientôt se présenter devant Dieu. Et qu’est-ce que tu lui diras, papi ? Oui, je dis « papi », parce que je ne le considère plus comme un patriarche, il a enfreint les canons. Il est devenu schismatique lui-même, puisqu’il a reconnu les schismatiques. Qu’est-ce qu’il a donc fait ? Ces gens se sont montrés tels qu’ils étaient. Ils ont divisé le village, ils ont divisé les villages. Il y a quatre villages, dans notre district, c’est de quatre églises dont il s’agit. Que lui dire ? Je n’ai pas le droit de juger, on ne peut juger que les actes. Mais c’est terrible. C’est terrible ce qu’il a fait, il y a tellement de larmes qui ont coulé. Et du sang répandu dans d’autres églises, pour autant que je sache.
Source : https://mospat.ru/fr/news/86259/
Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir TIKHON sur Tipeee.